Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui dont, tôt ou tard, elle prétendait faire son gendre[1].

L’important, pour atteindre au but, était de découvrir un bon intermédiaire, qui acceptât d’attacher le grelot, de lancer l’entreprise et de la mener à bonne fin. Ce rouage indispensable, l’heureuse chance des deux femmes le leur fournit à point nommé, et le meilleur qu’elles pussent rêver, car ce n’était rien de moins que Mme de Tencin, un vrai « Machiavel en jupons » et le « génie même de l’intrigue. » Ces qualificatifs sont de la plume du duc de Richelieu, qui se proclamait son élève et qui faisait d’ailleurs honneur à ses leçons.

Je n’ai pas à refaire ici, après les études copieuses, attachantes et documentées que lui ont consacrées Pierre-Maurice Masson et mon ami Charles de Coynart[2], l’histoire de cette jeunesse singulière, si étrangement passée du couvent à la galanterie et de la galanterie à la haute politique, d’une intelligence supérieure, peu scrupuleuse sans doute sur les moyens, mais cependant si souvent calomniée, influente de toutes les façons, par son esprit, par sa famille, par ses amis, par le charme qu’elle exerçait, par la frayeur qu’elle inspirait, touchant par quelque endroit à tout ce qui comptait en France, à la Cour, à l’Eglise, au grand monde, aux bureaux d’esprit, pour tout dire une manière d’entremetteuse géniale, dont la haine était un danger et la sympathie un bienfait.

Au temps où elle vient jouer un rôle dans ce récit, Alexandrine de Tencin avait cinquante-cinq ans. De son ancienne beauté, elle ne gardait qu’une physionomie expressive, des yeux où rayonnait sa vive intelligence, et sa « voix de sirène »[3], qui ajoutait encore au miel de sa parole. Avec ces dons et avec l’appui de son frère, la seule réelle affection de sa vie, Pierre de Tencin, alors archevêque d’Embrun et bientôt cardinal, elle demeurait merveilleusement puissante. Le vieux cardinal de Fleury, premier ministre de Louis XV, admirait fort, dit un contemporain, « son bon sens et sa clairvoyance implacable, » et il la consultait fréquemment, en cachette, sur les affaires publiques. D’ailleurs, désintéressée pour elle-même, cette « grande artiste en trames secrètes » n’intriguait guère que

  1. Lettres du chevalier d’Assay à Mme de La Pouplinière, passim. Nouveaux Mémoires du duc de Richelieu.
  2. Une Vie de femme au XVIIIe siècle : Madame de Tencin, dans la Revue des 1er février et 1er juillet 1908 ; et Les Guérin de Tencin, par Ch. de Coynart.
  3. Nouveaux Mémoires du duc de Richelieu.