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homme de qualité, un homme de cour. J’aurais préféré à tout autre M. de La Pouplinière. »

il n’est donc nullement surprenant que le même personnage ait pu, trente ans plus tôt, plaire à une fille d’esprit, coquette, recherchant les hommages, éprise d’art, de littérature, et passionnée comme lui pour la musique sous toutes ses formes. Ce ne fut sans doute pas un amour frénétique, mais une affectueuse sympathie, où il entrait de la reconnaissance, un sentiment sincère, tranquille et présentant ainsi plus de chances de durée. Quant à La Pouplinière, il adorait alors fougueusement sa maîtresse, et rien, comme chacun sait, n’est plus contagieux que l’amour. Nous avons d’ailleurs là-dessus l’aveu spontané de Thérèse. Ecrivant, bien longtemps après, à son amant, le duc de Richelieu, elle rappelle l’ancien sentiment maintenant effacé de son âme : « Suis-je sûre de mériter que vous m’aimiez toujours ? Mon cœur, je le crois ; mais je le croyais aussi il y a dix ans. Il n’y a aucune comparaison, mais je suis la même femme[1]. »

Le faux ménage établit ses pénates dans cette maison de la rue des Petits-Champs dont j’ai fait mention tout à l’heure. C’est là qu’était leur demeure officielle ; mais, pour la belle saison et pour les réceptions champêtres, La Pouplinière avait acheté une petite maison de campagne, une sorte de « folie, » pour parler le langage du temps, dans le quartier des Porchérons, aujourd’hui quartier de Clichy. C’était un pavillon, situé au milieu d’un jardin d’environ trois arpens, un jardin dont le centre est présentement marqué par la place Vintimille. La Pouplinière avait là pour voisin le duc de Richelieu, dont un mur mitoyen séparait seul la propriété de la sienne. Il semble que le sort ait mis quelque malignité à rapprocher constamment ces deux hommes.

L’association amoureuse du financier et de la comédienne durait depuis un an à peine lorsque survint la mort d’Alexandre Le Riche, père de La Pouplinière. Il succomba, le 10 avril 1735, dans son hôtel de la rue de l’Université, laissant des biens considérables que se partagèrent les enfans issus de ses deux mariages. La fortune de La Pouplinière semble en avoir été sensiblement accrue. C’est six mois après l’héritage qu’il acquiert du marquis de Broglie et du sieur de Verton, maître d’hôtel de

  1. Lettres communiquées par M. Vaucaire, possesseur des lettres provenant de la collection du baron Jérôme Pichon.