Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Antier, chanteuse à l’Opéra, fort goûtée du public pour son talent et sa beauté. Mariée au sieur Duval, inspecteur des greniers à sel, la demoiselle Antier n’en était pas moins la maîtresse du prince de Carignan, — Victor-Amédée-Joseph de Savoie, — et richement entretenue par ce grand seigneur mélomane. Mais ce dernier n’était pas jeune ; il passait pour fort ennuyeux ; de plus, il était joueur et il délaissait volontiers le boudoir pour le tapis vert. La Pouplinière, grand admirateur de la belle, entreprit de la consoler et y réussit parfaitement. Certain soir de printemps, en 1727, il était dans l’appartement de Mlle Antier, lorsque le prince de Carignan, qui possédait une double clé, fit brusquement irruption et trouva la place occupée. Il y eut grand tapage. Le prince voulut bâtonner son rival ; mais La Pouplinière dégaina, fit mine de se défendre et, par sa contenance intrépide, sauva l’honneur de la finance. Il fallut le laisser sortir, et la rage de l’amant trompé se tourna contre l’infidèle, qui reçut, affirme la chronique, « une demi-douzaine de soufflets et autant de coups de pied » pour sa peine.

L’affaire n’en demeura pas là. Dès le lendemain matin, le prince de Carignan se rendait à Versailles et racontait sa triste histoire au premier ministre du Roi, le vieux cardinal Fleury, lequel, par une coïncidence piquante, bien que septuagénaire, passait alors pour faire la cour à la princesse de Carignan. Quoi qu’il en soit du bien-fondé de ces médisances, le cardinal ne voulut pas entrer dans les rancunes du prince, ni, en tout cas, comme le demandait celui-ci, chasser des Fermes le coupable. Il accueillit ses doléances avec quelque ironie et lui promit seulement, pour rassurer sa jalousie, d’éloigner son rival et de l’expédier en province. En effet, peu de temps après, La Pouplinière fut désigné pour faire une tournée en Provence, avec défense de se remontrer à Paris sans l’autorisation du Roi, sous peine d’emprisonnement. Carignan, cependant, n’avait pas l’esprit en repos, et les archives de la police contiennent trace de perquisitions opérées à plusieurs reprises, pour s’assurer que le redouté séducteur n’avait pas, en sourdine, reparu dans la capitale. La police ne découvrit rien, et le résultat de l’histoire fut de donner à l’exilé une certaine renommée et le prestige, alors puissant, d’un homme à bonnes fortunes.

L’éloignement imposé par Fleury se prolongea pendant environ quatre années, au cours desquelles La Pouplinière