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elle qui, peu après la mort de son époux, livrera au public les lettres immortelles de Mlle de Lespinasse.

Sur l’enfance de Thérèse des Hayes, — c’est ainsi qu’on l’appelait, le nom bourgeois de Boutinon ayant disparu assez vite, — on n’a pas de détails précis. Ses premières années se passèrent tantôt au château de Courcelles et tantôt à Paris, rue Saint-Louis au Marais, parfois aussi au château de Passy, chez sa tante, Mme de Fontaine, où elle se retrouvait avec les filles de la maison, ses jeunes cousines germaines, sous l’égide du « chevalier Bernard. » C’est à Passy, croit-on, que fut fait le joli portrait, attribué à Tocqué[1], qui représente Thérèse dans sa septième ou sa huitième année. La fillette, se dressant dans un large fauteuil, est vêtue d’une simple chemise, barrée vers le milieu du corps par une écharpe de soie blanche ; elle tient à la main une perruche, que guette, en bas, un petit chien ; plus haut, un singe, écartant un rideau, contemple sournoisement la scène. L’enfant, grasse et potelée, a des yeux noirs perçans, sous des sourcils bien dessinés ; sur ses cheveux, bruns et bouclés, sont semées quelques fleurs. La physionomie spirituelle et la moue malicieuse évoquent déjà, vingt années à l’avance, les pastels que le même modèle inspirera plus tard à La Tour.

Thérèse, à la mort de son père, était dans sa quinzième année. C’est sans doute en ce temps que, sous l’influence de sa mère, elle se tourna vers le théâtre. Son atavisme, fatalement, la poussait dans celle voie ; c’était une tradition de famille, et elle n’y manqua pas. Mais, si le fait est avéré, sa courte carrière dramatique est pour nous pleine d’obscurité. On pourrait supposer qu’à l’exemple des siens, elle ait fait ses débuts au Théâtre-Français ; mais, dans les archives de la troupe, on ne voit mentionnée nulle trace de son passage. Il paraît plus probable qu’elle ait choisi, pour se produire, quelque théâtre de musique. C’est de ce côté, en effet, que l’inclinaient ses dispositions naturelles. Thérèse des Hayes, dès son jeune âge, fut une musicienne accomplie.

Ce goût pour la musique est un de ses traits dominans. Elle avait une fort jolie voix et s’en servait avec adresse. Dans sa correspondance avec son frère aîné, le chevalier d’Assay[2],

  1. Cette peinture est en la possession de Mme la vicomtesse du Plessis, née de Villeneuve-Guibert.
  2. Archives du comte de Villeneuve-Guibert, passim.