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pèse sur les Macédoniens, — les plus laborieux de tous, — leur enseigne, dès l’enfance, la philosophie de la résignation, et ce fatalisme qui tient au climat, aux mœurs, plus qu’à la doctrine religieuse.

La dépression morale que subissent tous les déracinés de la guerre est un phénomène que nous avons pu constater, hélas ! trop souvent, en France même. Il n’est pas toujours facile de rendre à ces pauvres êtres le goût du travail et le sentiment que le travail est un devoir.

Les médecins et les officiers français que les circonstances ont mis en rapport avec les réfugiés de Lembet leur sont doublement utiles, en surveillant leur santé et en les obligeant à une activité réglée et rémunératrice.

On prétend que cette intervention des Français ne plaît pas à certains Grecs. Il me semble, au contraire, que cette collaboration improvisée devrait aviver des sympathies naturelles et que la bienfaisance, — surtout quand elle s’exerce au profit de gens dépouillés et chassés par les Bulgares, nos ennemis communs, — est une excellente politique.

Maintenant, j’appartiens aux femmes de Lembet. Elles ne veulent plus me lâcher et m’entraînent dans leurs maisons. Il faut que j’admire tout : les nattes posées à même le sol, le berceau de bois suspendu par des cordes et qu’une petite fille balance, les toiles brodées ou rayées, restes d’une splendeur défunte, et les icônes qui ont accompagné l’exode des fugitifs, tels les dieux d’Enée. Il faut que j’entre chez Katerini la dentellière, forte fille brune dont les larges yeux me rappellent les portraits peints de l’école alexandrine, et chez cette Polyxeni qui, tout à l’heure, accroupie et lavant son linge, riait à belles dents et nous faisait songer à cette autre fleur du sang grec mêlé au sang gaulois, notre Mireille…


MARCELLE TINAYRE.