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canons qui tirent tous ensemble et dont les éclairs bas rayent la nuit, des fusées montent, convergeant vers le zeppelin qu’elles encadrent, qu’elles dénoncent.

Le vacarme est tel qu’on n’entend ni les moteurs du dirigeable, ni les avions qui le poursuivent. La rue s’emplit de blafardes et brèves clartés. Des soldats anglais, des officiers français, quelques Grecs en costume rudimentaire, se penchent aux balcons, se groupent sur le trottoir et parlent à voix indistinctes.

On ne sait si le zeppelin a jeté des bombes ou s’il ne va pas en jeter. Il est maintenant juste au-dessus de la rade, saisi par les projecteurs des vaisseaux, et je pense à mes amis marins qui, sur le pont de leurs bâtimens, participent à l’attaque.

Soudain, le dirigeable entre dans l’ombre et ne reparait plus. La canonnade se ralentit et cesse. Quoi ? La lutte est finie, et le monstre s’est évadé du piège céleste où les grands rayons le tenaient ? Déçue, je sens le froid de la nuit me saisir et je rentre dans ma chambre. Il est environ trois heures du matin mais deux détonations retentissent à bref intervalle, et une rumeur de foule me rappelle à ma fenêtre. Au loin, sur la droite de la rade, une sorte de brûlot rouge se consume, dans les marais du Vardar, élevant une haute fumée pourpre qui embrase tout le ciel occidental.

Des voix proclament :

— Il est tombé ! Le zeppelin est tombé !

Est-ce vrai ? Ce qui brûle, là-bas, est-ce bien le zeppelin qui s’est évanoui tout à l’heure, dans les nuages et que personne n’a vu choir ? Ne serait-ce pas une maison lointaine ou un bateau, incendié par les bombes dont nous avons tous entendu l’explosion ? Il y a un instant d’incertitude et d’angoisse.

Mais les bâtimens invisibles, sur la rade, continuent des conversations mystérieuses, et leurs signaux, adressés aux postes de timoniers à terre, racontent sans doute le dénouement du drame, car la nouvelle se répand bientôt, en ville, que le zeppelin est détruit. Il agonise là-bas, dans le marécage

Et voici qu’aux hourras des marins répond la clameur joyeuse de Salonique.


Mai 1916.

Le lendemain du raid aérien, le docteur C… et M. G… B… devaient me conduire au camp des réfugiés de Lembet, près