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fondant laisse transparaître des silhouettes de navires. A tribord, se profile le promontoire de Kara-Bouroun où flotte encore le drapeau grec, mais dont les forts et les batteries sont occupés par les Alliés, — mesure de précaution que l’étrange attitude de la Grèce a rendue nécessaire. Plus avant, se creuse la petite baie de Mikra, protégée par une pointe de terre. On aperçoit des baraquemens, des hôpitaux temporaires, les tentes du camp d’aviation, et, suivant la courbe de la rade immense, un faubourg tout en longueur, villas et jardins, jusqu’à la Tour Blanche dont la masse crénelée avance un peu comme une vigie de pierre qui défendrait l’entrée du port. Ce quartier dit « des Campagnes, » c’est le Passy salonicien, habité par les étrangers, les consuls, les fonctionnaires, la riche bourgeoisie. Tout neuf, avec ses belles maisons espacées, ses jardins baignés par la mer, il compte encore bien des places vides et n’est à vrai dire qu’un boulevard développé sur quatre ou cinq kilomètres et rattaché à la ville par un tramway jaune qu’on distingue, de loin, menu comme un jouet mécanique.

Salonique est de l’autre côté. Salonique, c’est, au fond de la rade, une cité couchée à flanc de colline, couronnée de tours ruinées, de murs crénelés qui descendent obliquement, de hauts platanes en touffes sombres. Dans ce matin gris, toutes ses couleurs deviennent grisaille, et les minarets qui, par centaines, surgissent au-dessus des maisons pressées, des petits dômes blanchâtres, des jardins en éboulis, semblent de tristes chandelles éteintes. La ville déborde les hauteurs qu’elle couvre, s’allonge en faubourg vers les vagues espaces brumeux de Zeitenlik et de Bétchinar, à l’opposé des « Campagnes. » Des montagnes, plus lointaines, confusément esquissées en gris sur gris, achèvent le décor du golfe ; mais elles sont trop vagues pour retenir le regard. Ce qui nous intéresse avant tout, c’est la vie du port, c’est le quai qui surplombe l’eau boueuse, entre la Tour Blanche et les constructions de la Douane, le quai moderne, bordé de hautes maisons sans caractère et tout grouillant de passans, de voitures, de tramways, d’automobiles militaires. Des cargo-boats, des paquebots, de gros voiliers portant les couleurs helléniques peintes sur leur coque, sont mouillés tout au long de ce quai, où le travail de chargement et de déchargement s’accomplit dans le brouhaha et les clameurs. Les barques des Iles, les « sacolèves, » exactement