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Où je sens s’exalter les cris les plus profonds,
D’âge en âge, sur la terre retentissante.


Les villes ; et, dans les villes, tout ce qui est son effarement d’autrefois, le remuement, la fièvre, la folie de sempiternelle activité : et cette activité tendue vers quoi ? vers l’avenir. Aucun autre mot n’est permis, pour désigner cette incertitude. Mais alors, détestez-vous l’avenir ?


Futur, vous m’exaltez comme autrefois mon Dieu !


Le poète des Flambeaux noirs et des symboles d’orgueil farouche a quitté sa retraite. Il devient, de la plus belle manière, le poète de la réalité moderne, la plus moderne et, croyait-on, la plus rebelle à toute poésie, le poète de la vie industrielle. D’autres se plaignent de la vapeur et de l’électricité, se plaignent des cheminées d’usines qui déshonorent les paysages. Lui, chante et l’usine, et la banque, et tout le train de nos cités. Il chante la frénésie universelle, la force humaine, les masses qui se meuvent : il chante aussi l’erreur, où la force humaine se montre comme dans les sursauts de la vérité. L’erreur et la vérité ensemble font la très confuse doctrine de l’époque. Et l’on jugera l’époque sur ses lendemains : il faut l’aider et, pour l’aider, il faut l’aimer, tandis que retentit « l’orage amoncelé des montantes idées. » Voilà, en somme, l’ampleur de cette poésie : et son imprudence !

Verhaeren croyait l’humanité prochainement destinée à des félicités qu’il annonçait. Et il sentait battre « des cœurs d’hommes nouveaux dans le vieil univers. » Et il sentait germer, dans l’âme de l’Europe, un rêve de justice. Et il considérait que la guerre était à jamais close, était une calamité des « vieux empires : » lorsque la guerre a éclaté.

Il avait épanoui jusqu’à l’humanité entière son cœur et sa pensée. Entre tous les peuples, il préférait le peuple de Flandre ; mais il ne haïssait aucun peuple : et même il augurait que toutes les nations seraient un jour réunies dans une fraternité franche. Entre les nations qui n’étaient pas la sienne, il distinguait, pour lui accorder amour et déférence, la France, qu’il voyait semeuse, — et imprudente comme lui, — semeuse des idées qui préparaient le plus vivement l’avenir : la France, — et l’Allemagne ! — Car il comptait sur la science : la science crée l’industrie, met en valeur toutes les forces tumultueuses, les multiplie et les discipline, et ainsi prépare l’avenir ; et il avait accepté que l’Allemagne fût la patrie de la science. L’Allemagne envahit la