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faussé leur caractère. Et, par exemple, Verhaeren, c’est merveille de voir comme il est heureusement resté lui-même et de Flandre.

Il n’y a pas de symbolisme, — si l’on veut, il n’y en a pas beaucoup, — dans son premier recueil des Flamandes, où il ne songe qu’à peindre de couleurs vives et chaudes la Flandre des pâturages et des kermesses, les étables tièdes et bourdonnantes de mouches, les basses-cours, laiteries et cuisines, les cabarets avec leurs grands buveurs et leurs grands mangeurs de jambons, et les danses, les chansons, les ripailles, et les filles, et l’une d’elles, une vachère, couchée parmi l’herbe d’un pré, les bras repliés, dormante au soleil ; sa gorge se soulève comme remuent les blés ; des rameaux pendent à ses épaules, se mêlent à ses cheveux : et elle est l’âme somnolente de la plaine. Les poèmes des Flamandes, ce sont des tableaux de Teniers parfois ; et l’on y sent que l’auteur aimait, plus que Teniers encore, et Jordaens et Rubens.

Rubens et Jordaens, peintres d’Anvers : et, dans la Flandre où Verhaeren a pris son talent, ne négligeons pas Anvers. C’est la ville de sa joie, il le raconte, et de sa fureur juvénile : ses poèmes célèbrent ses promenades à Anvers et plus d’un exploit. Nous sommes loin de Louvain. Nous retournons à Louvain, probablement, avec Les Moines. » Le mysticisme et la sensualité… » dit-il. L’une est d’Anvers, et l’autre de Louvain. Que le poète des Flamandes passe, et rapidement, aux Moines, ce n’est pas chez lui le fait d’un écrivain qui cherche des sujets, un thème nouveau. Les Flamandes n’ont pas contenté son mysticisme : et, s’il veut déjà glorifier « toute la Flandre, » voici, après la Flandre des kermesses, la Flandre des monastères. Des moines doux et violens, les uns confinés dans leur dévotion, les autres qui siègent au chapitre comme des justiciers et qui, sous la bure aux plis droits, ont l’air de chevaliers guindés dans des armures : et tous, contemplateurs ou despotes, les humbles et les orgueilleux, tous exaltés de passion plus forte que nulle énergie. Le même poète, ailleurs, a pris pour ses héros les rudes gaillards des anciennes corporations flamandes, foulons, brasseurs et tisserands, les communiers, fauteurs d’émeute. Il admire et il chante ceux-ci et ceux-là tout pareillement ; dans ceux-ci et ceux-là, il admire et chante la frénésie de l’âme flamande.

Soudain, son art se modifie. Au diptyque des Flamandes et des Moines, succède la trilogie des Soirs, des Débâcles et des Flambeaux noirs. Ces recueils parurent, après les Moines, d’année en année ; puis Verhaeren les a réunis et munis de sous-titres : « I. décors