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revêtus de l’estampille gouvernementale. J’en ai connu un qui traitait, si j’ai bonne mémoire, de la femme, depuis les origines jusqu’à nos jours : il avait en poche une mission du Ministère de l’Agriculture a l’effet d’étudier le système du reboisement aux États-Unis ! Cela n’est pas sérieux, convenez-en. Et puis, il y a les gaffeurs (vous en avez, même en France), lesquels font plus de mal en une heure que les autres, les désirables, comme nous disons, ne font de bien en six mois. Mais j’admets que vous soyez tous sans exception des hommes de tact et des orateurs de talent, il n’en reste pas moins que vos conférences se débitent en français, et qu’elles ne sont, par conséquent, intelligibles qu’à des auditoires de francisans, c’est-à-dire à une fraction intime, — d’ailleurs, gagnée d’avance, — du vaste public américain. Or, c’est ce vaste public, si honnête, mais si peu averti, qu’il faudrait atteindre ; c’est lui qu’il faudrait prémunir contre les gaz asphyxians de la propagande allemande ; c’est à lui, enfin, qu’il faudrait expliquer la France. Et quelle chance, je vous prie, avez-vous de l’éclairer, de l’émouvoir, si vous ne vous adressez à lui dans sa langue avec des mots qui aillent droit à son cerveau, des accens qui le touchent au vif du cœur ? Je vous parlais des tâches indispensables où j’ai conscience que je pourrais être de quelque utilité à votre pays comme au mien : en voilà une entre vingt autres. Je ne demande qu’à m’y dévouer. Constructeur de moellons, de mon métier, je ne suis nullement un arrondisseur de phrases ; mais, je n’ai cessé de le répéter à vos dirigeans, pour combattre le virus teuton, l’heure n’est plus, en Amérique, aux fines périodes gantées de blanc, à la française ; la réserve, la discrétion, l’exquise pudeur intellectuelle ont fait leur temps : le moment est venu de manquer de goût et de foncer devant soi, carrément, à l’américaine. C’est à quoi je suis prêt. Seulement, si, à l’occasion, je réclame un coup d’épaule, je ne veux tout de même pas que les gens pour qui je paie de ma personne me répondent, comme on l’a déjà fait : « Ah ! dame, débrouillez-vous ! »

M. Whitney Warren n’était pas le premier de nos amis d’outre-mer à qui j’entendais formuler de semblables griefs contre nos façons d’agir, — ou de n’agir point. Mais, lui, il appartient, heureusement, par tempérament comme par réflexion, à la catégorie de ceux dont il ne sera jamais en notre pouvoir de lasser la bonne volonté ni de refroidir le zèle. Il