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Lorsqu’il eut collectionné ces miniatures persanes, d’après lesquelles il fit quelques dessins très curieux, il voulut s’en servir pour donner un accent d’orientalisme à son eau-forte épisodique : Abraham recevant Jéhovah et les Anges. Il le fit avec tant de drôlerie, qu’il est impossible de ne pas sourire à la vue de ces anges barbus, déployant de petites ailes en éventail, assis à la mode asiatique autour d’un grand vizir de manuscrit persan, tandis que le jeune Ismaël, — posé par son fils Titus, — vise, de l’arc, quelque gibier pour la table du patriarche. Pendant que celui-ci s’apprête à leur laver les pieds, la vieille Sarah écoute leurs propos, dans la pénombre de l’escalier. Elle vient d’apporter ses galettes dressées dans un grand plat, sur un tapis de selle, à la porte d’un logis des Flandres, voisin des chênes de Mambré. Tout cela, plein de cette bonhomie de la Genèse, qui campe un Jéhovah familier, parfois jovial et si semblable, par ses sautes d’humeur, à quelque Haroun-al-Raschild des Mille et une Nuits persanes ; tout cela pourtant littéralement traduit de la Bible par quelqu’un qui la lit tous les jours, l’étudie avec les Rabbins, la commente avec les Pasteurs et ne la voit que par des yeux de peintre réaliste, habitué à saisir le trait caractéristique de toute chose et à l’exprimer hardiment. Ce grand imaginatif peuplait ses compositions chimériques avec des figurans réels, pris dans son temps et dans son milieu, et de cette manière il humanisait les légendes bibliques au point de leur prêter une vie nouvelle, qu’il tirait de son cœur et de son cerveau. Il apparaît ainsi, comme un prédicant par l’image, comme un autre artisan de la Bible des pauvres, qui crée le lien entre le peuple et ses traditions écrites et lui fait saisir par l’image l’ « humanité » des textes anciens. Le seul rite des Mennonites consistait, au temps de Rembrandt, à prier, le soir, en ces termes : « Seigneur, fais camper tes saints Anges autour de moi ! » Si c’est ainsi que le maître évoquait les génies familiers préposés à sa garde nocturne, il faut avouer qu’il y mettait une jovialité qui justifie la mauvaise humeur des sectes rigoristes d’Amsterdam.

Mais, à côté de ces commentaires évangéliques, à côté de ces actes de foi, que nous appelons les Trois Croix, la Prédication de Jésus, les Cent Florins, les Descentes de Croix, les Résurrections de Lazare, exécutés avec cette émotion et ce grand respect qui se devinent à l’application minutieuse de sa