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s’est mise à pousser, quand l’étranger parlait de son épuisement, des surgeons qui nous étonnent.


Dernière journée. Reims. Nous ne pensions pas y aller de sitôt. Du haut de l’observatoire, où nous étions la veille, nous apercevions tout juste l’extrémité de son faubourg, Bétheny, dont les derniers jardins touchent aux lignes boches. Une avancée du plateau nous cachait la grande ville. On la voyait presque commencer : on savait qu’elle était là, derrière, — ses richesses, sa merveille française, dont un poète allemand réclamait, il y a quatre-vingts ans, la destruction, exposées depuis plus de vingt mois au libre ravage du Barbare jaloux.

C’est presque un hasard qui nous permit d’y entrer le lendemain, en allant chercher toujours des routes plus à l’Ouest. Il fallut tourner jusqu’à la chaussée d’Epernay, qui vient droit du Sud. Nous courions vite entre les grands rideaux de peupliers qui nous masquaient interminablement le paysage. Mais, un instant, de très loin, ce que nous avions tant désiré la veille nous apparut tout d’un coup : la nappe sérieuse et grise de la vieille cité d’où montait, portant haut ses deux couronnes, une majesté solitaire et religieuse.

Et déjà, c’est l’octroi, les premiers faubourgs, où les signes de la vie ancienne, cafés, chantiers, magasins déserts, affiches sur les murs, ne font qu’accroître le pressentiment de mort, — où la population ne semble plus que de quelques femmes, où des rangs et des rangs de volets sont fermés. Nous pouvions imaginer ce vide en croisant, sur la route d’Epernay, tant de voitures de déménagement qui cheminaient toutes vers le Sud. Reims qui comptait cent vingt mille âmes, il y a deux ans, et qui n’en a plus vingt mille, continue toujours de se dépeupler.

En vain, les yeux cherchent la forêt fumante des cheminées d’usines. Le canon boche s’est inspiré du principe énoncé dans le manuel boche des usages de guerre : « Ruiner l’adversaire dans toutes ses ressources matérielles et spirituelles. » Simplement déshonorer une splendeur que l’on hait parce qu’elle parle de tous les rois et tous les siècles de la France, et puis