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ou un faux mouvement, et puis s’affaisser d’épuisement en touchant la terre, ou bien se mettre à gesticuler, être pris subitement de saccades nerveuses. Il faut parfois de vraies cures de repos avant de pouvoir repartir. Mais ça vous prend étonnamment. On recommence toujours… Quand on a tâté de ça, on ne peut plus faire autre chose. »

Une passion s’était mise à remuer en lui. Quittant le ton froid, uni, du gentleman et du démonstrateur, il parlait plus vite, mais, trait significatif, en baissant la voix à mesure qu’il s’animait. Un instant, les deux mains gantées se levèrent à demi, dans le geste frémissant mais contenu de l’enthousiasme, et il ajouta :

— « Voyez-vous, ce métier-là, on en rêve ! Aucune chasse ne vaut celle-là. C’est une chose ensorcelante : ça vous tape dans la tête ! Et puis, il y a des matins, au-dessus des vapeurs, où on a l’illusion de naviguer tout seul sur une mer splendide !… »

Il se reprit tout de suite :

— « Voulez-vous voir les appareils à deux places ? »

Je le regardais ainsi que son camarade, l’observateur, et puis un autre aussi, qui étudiait une magnéto près de nous. Je pensais aux mots qu’il avait dits : « Tout le monde ne peut pas faire ça ; la sélection se fait toute seule. » Oui, ici comme partout, la guerre impose les valeurs vraies. Un seul critère : non plus une note d’examen théorique, non plus l’âge ou la longueur de l’attente, non plus l’attache à tel ou tel parti, mais l’évidente efficacité. Ces minces jeunes hommes, qui font penser à des lames de fleurets, étincelantes, souples et vigoureuses, quels exemplaires de cette race dont celui-ci venait de dire : « Le Français vaut par le cran individuel ! » Sûrement, la bravoure atavique est partout aux armées ; depuis vingt-sept mois, tout au long de la ligne du front, elle s’exalte en éclats quotidiens. A tous les degrés du commandement, la science, le talent abondent. Mais pour l’ensemble des vertus qui font toute la perfection virile de l’homme, celles qui signalaient le héros des âges épiques, et qui s’attestent encore en ces combats singuliers, — vigueur, vif élan d’audace, facilité d’adaptation à l’imprévu, promptitude et certitude du coup d’œil et du geste, — ceux-ci sont les meilleurs, la plus pure fleur de la France d’aujourd’hui, de cette incalculable race française qui