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Les Alliés se concertaient ; sans que le lieu de la réorganisation fût choisi, le principe de l’évacuation était arrêté, mais les Serbes se préoccupaient des conditions dans lesquelles l’opération se ferait : ils hésitaient à laisser diriger par la voie de terre sur Durazzo et Vallona leur armée trop fatiguée pour faire à pied un si long voyage ; ils craignaient qu’il ne mourut en route un grand nombre de leurs soldats ; ils se demandaient d’ailleurs si, avant que les dernières troupes n’y fussent parvenues, Durazzo ne serait pas tombée entre les mains des Austro-Bulgares. Aussi le Gouvernement insistait-il de la manière la plus pressante pour que l’évacuation se fît par Saint-Jean de Médua et non par Durazzo et Vallona.

Tandis que les gouvernemens délibéraient, la situation à Scutari s’aggravait. Dans la ville, bombardée chaque jour par des avions autrichiens, l’existence était devenue de plus en plus difficile ; les réfugiés, qui parvenaient à grand’peine à se nourrir, s’inquiétaient de l’attitude des Albanais, de l’avance des Autrichiens et des Bulgares ; ils assiégeaient en foule les ministères serbes, les légations et les consulats, réclamant un moyen pour quitter Scutari et, malgré les détails navrans qui parvenaient de Saint-Jean de Médua sur les souffrances de ceux qui campaient sur le rivage en attendant vainement un bateau, chaque jour augmentait le nombre de ces malheureux. Il régnait une véritable fièvre de départ, dont les étrangers étaient atteints aussi bien que les Serbes ; les dispositions que l’on voyait prendre en prévision de l’évacuation de l’armée et du transfert à l’étranger du Gouvernement contribuaient encore à augmenter l’énervement général. Plus heureux que les Serbes, les étrangers partirent les premiers.

Le 25 décembre, avec tous les Français de Serbie réfugiés a Scutari, le personnel de nos diverses missions militaires pouvait prendre place à bord d’un petit transport, la Ville-de-Bari, qui avait apporté des vivres à Saint-Jean de Médua ; les missions sanitaires anglaise et russe avaient réussi à s’embarquer quelques jours auparavant.

Il ne restait plus avec le gouvernement serbe que les quatre ministres alliés et ceux de leurs collaborateurs qui, depuis le 20 octobre, partageaient avec une inlassable bonne humeur et le plus exemplaire dévouement les vicissitudes de leur vie errante. Ils pouvaient se demander quel allait être leur sort.