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incomparable. On comprend la spontanéité des suffrages qui relevaient au premier rang. Il était fait pour l’occuper, car, sous des formes courtoises, il savait vouloir. Cet homme de salon et ce savant étaient un chef.

Cette riche intelligence n’était elle-même que le reflet de la vie morale. Aucune nature qui fut plus en équilibre. Entre ce cerveau et ce cœur, on eût affirmé une harmonie préétablie. Une piété solide, une croyance qui était moins une tradition qu’une conviction, avaient de tout temps dominé sa vie. Sa droiture, sa conscience, sa délicatesse naturelle firent le reste. « Probité de Vogué… » Comme cette simple devise, inscrite par une aïeule dans un livre de famille, achève de le définir ! Probité de l’esprit… Celle du savant, qui cherche avant tout le vrai, ne conclut que sur des preuves, et certain de sa faiblesse, sait loyalement reconnaître ses erreurs et les réparer ; celle de l’honnête homme, ayant soif d’équité, délicat jusqu’au scrupule, et qui, défiant des jugemens de parti ou des opinions toutes faites, sait qu’il doit à tous, même à ses ennemis, la justice, cette forme si haute du respect. Probité du cœur… Qu’est-ce à dire ? sinon le détachement de soi, l’horreur de ce qui est vulgaire et bas, le sentiment du service à rendre comme du devoir à accomplir, cette discrétion exquise du bien qui s’offre sans contraindre, oblige sans humilier, et s’interdit toute autre récompense que le désir de faire mieux ou de faire plus encore. « Cette religion du devoir public ou privé, fermement, simplement et chrétiennement rempli, » qui l’eut au plus haut point que l’homme éminent dont nous déplorons la perte ! Ce fut bien là l’unité, la raison d’être d’une vie partagée tout entière entre l’amour du bien public et l’affection qu’il inspirait et qu’il portait aux siens… Il adorait la vie de famille, et c’était pour lui une fierté que de voir ses fils continuer ses tradilions. Il connut les joies de l’amitié, cette douceur d’aimer et d’être aimé qui est le partage des belles âmes. Compagnons de route qui avaient été les confidens de ses pensées, communiaient à sa foi, s’unissaient à son action, Lefébure, Georges Picot, Thureau-Dangin, tombèrent avant lui dans la lutte. On se rappelle l’hommage ému qu’il leur rendit. Il a écrit de Thureau-Dangin : « C’était essentiellement une âme… » A notre tour, ne pourrions-nous pas appliquer cet éloge à celui dont la bonté se révélait dans la douceur de la parole ou le sourire du regard ?