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Ce n’était point le repos. Jamais, au contraire, son activité n’allait être plus variée et plus féconde. Mais que faire ? Dans ces années d’agitation et de fièvre, où se heurtaient les deux grands partis qui s’offraient à diriger la France, un seul devoir semblait utile : entrer dans la lutte et défendre l’ordre. M. de Vogué se jeta dans la mêlée. En 1873, il avait été élu conseiller général de Léré. En 1885, au moment des élections législatives, il prit, dans son département, la tête de l’opposition conservatrice. Sa valeur, ses services eussent dû assurer son élection. Mais raison et reconnaissance comptent peu dans l’âpreté des compétitions électorales. Il échoua, quoique premier de sa liste. L’expérience lui avait paru décisive : il ne songea plus à la renouveler.

Etait-il fait pour ces luttes ? En d’autres temps, sous un autre régime, on le voit siégeant dans une Chambre des pairs, conseiller-né de la couronne, associé tôt ou tard au gouvernement par l’autorité de l’influence et du savoir. Mais ses idées, son caractère, ne le préparaient pas à être homme de parti. Il ne fût entré dans un Parlement que pour défendre l’intérêt public. Ces compromis, ces intrigues, monnaie décriée d’échange entre les groupes, le révoltaient à la fois comme une injure pour le pays et une diminution de soi-même. Et la nature de son talent ne lui donnait guère l’audience des foules. S’il parlait bien, il n’avait pas cette passion qui entraîne, même quand elle égare. Et pourtant, jamais esprit plus ouvert, plus libre, jamais conscience plus haute n’eussent honoré nos assemblées. D’illustres exemples lui avaient d’avance tracé la voie. Son bisaïeul avait été élu aux États généraux comme un partisan des réformes. En 1829, son père avait été avec Montalembert un des fondateurs du Correspondant. Il appartenait ainsi à ce conservatisme libéral, qui, ne des meilleures idées du philosophisme, des espoirs de la Restauration, fut, au siècle dernier, comme la fleur exquise et fragile de l’esprit public. Rattaché au passé, par ses origines, poussé en avant par ses traditions et sa culture, le marquis de Vogué put se dire, avec raison, le fils de son temps. Il en saluait tous les progrès, en admirait les découvertes. L’évolution même qui entraînait la France vers un régime populaire n’effrayait point ce grand seigneur. Il la jugeait inévitable : dans la démocratie, il ne condamnait que les désordres, la fragilité des desseins ou