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Et le vieux maréchal sort grandi de cette enquête. Il se dresse en pied, bien réel, bien vivant, et combien différent du fanfaron insatiable que Saint-Simon nous a décrit ! Egoïste sans doute, vaniteux, bavard, mais brave, hardi, spirituel, entraîneur d’hommes, sachant faire ses affaires, mais mieux encore, suivant le mot de Louis XIV, celles de l’Etat, bref autant servi par ses défauts que par ses qualités, et n’en ayant pas moins, à deux reprises, sauvé la France, tel est le portrait que nous avons enfin du vainqueur de Denain. Ces magistrales études, œuvre préférée du marquis de Vogué, resteront un de ses meilleurs livres, un de ceux qui assurent à un écrivain ses lettres de noblesse. Il avait trouvé sa manière : un style sobre, alerte, naturel, l’élégance de la forme appliquée à la solidité du fond. En 1902, l’Académie française consacrait son talent en l’appelant dans son sein. Si le défenseur de Villars a porté bonheur à son héros, Villars le lui a bien rendu.

Dans ces grandes compositions nous retrouverons toujours son tempérament comme sa méthode. L’archéologue n’avait pas cru que l’archéologie dût se passer de l’histoire, expliquant l’une par l’autre, rattachant les formes variées de l’art aux changemens des idées, des mœurs, à la marche de l’esprit humain. L’historien, à son tour, ne sépare pas l’histoire de l’érudition. S’il lui demandait des jugemens d’ensemble et des vérités générales, il ne l’aimait pas moins pour la rigueur de ses recherches. Et quelque brillantes que lui parussent ces larges fresques où se donnent carrière les conceptions de l’homme d’Etat et la psychologie du moraliste, il n’oubliait pas que l’histoire est avant tout une science : celle du fait, même du petit fait, rivée par sa nature au document. Oui : le document, qu’il soit de parchemin, de papier ou de pierre. Et combien plus encore que la pierre, les écrits : feuilles jaunies et desséchées, trouvées sur la route du temps, mais où frissonne toujours un souffle d’âme humaine ! M. de Vogué les recueillait avec amour. Dans le discours prononcé en 1891, à la Société d’histoire de France, et qui fut comme son programme intellectuel, se trahissait ce plaisir intense du travailleur, déchiffrant, interprétant « le morceau de papier, insignifiant en apparence, qui rétablit un fait, trahit un mobile… découvre une passion, livre l’homme. » C’est à ce trésor des archives, publiques ou privées, que l’historien doit puiser à pleines mains : c’est à ce travail