Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/879

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

développement, ait procédé à la manière d’une véritable religion, c’est ce qu’on ne saurait nier. Et l’Europe absolutiste et à demi féodale encore a bien senti le péril dont la menaçait la France révolutionnaire. Si elle s’est dressée tout entière contre la patrie de la Déclaration des droits de l’homme, c’est sans doute parce qu’elle comptait bien se partager ses dépouilles ; mais c’est aussi et surtout, parce qu’elle se proposait d’écraser la nation subversive, coupable d’avoir inventé et propagé une pernicieuse doctrine anarchique. Plus encore que des guerres d’intérêt, les guerres de la Révolution ont été des guerres de principes. Et c’est là ce qui, surtout du côté français, a fait leur indéniable grandeur.

Mais la Révolution française se prolonge et se poursuit encore. Nos deux révolutions de 1830 et de 1848 ont eu elles aussi un retentissement européen, et elles ont provoqué un peu partout des mouvemens révolutionnaires et la naissance de constitutions libérales. Qu’est-ce à dire encore, sinon que la Déclaration des droits n’est pas un simple accident dans notre histoire nationale, et qu’il semble véritablement que tous les peuples, pour s’affranchir et réaliser leurs aspirations profondes, attendent la parole libératrice de la France ? Gesta Dei per Francos. Il fut un temps où nous n’osions guère rappeler la vieille devise qui, parfois, avouons-le, avait trop aisément flatté notre orgueil. Mais il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas tout à fait illusoire, que la France, dans l’histoire universelle, a été génératrice de grandes choses, et que ceux qui pensent qu’elle a été créée pour instituer sur elle-même des expériences dont profiteront les autres peuples, n’ont peut-être pas entièrement tort.

Les autres peuples ! Ils nous ont jalousés, combattus, raillés ; ils ne nous ont pas toujours rendu justice ; ils n’ont pas toujours eu conscience de ce que nous avions fait pour eux ; mais ils ne nous ont jamais haïs, et à plus d’une reprise, ils ont fortement senti « ce que la France signifie dans le monde. » Quand, à la fin d’août 1914, l’armée allemande s’avançait à marches forcées sur Paris, et que l’on put un moment croire à la réussite du plan pangermanique et, sinon à la disparition, tout au moins à la diminution de la France, il y eut dans tous les pays alliés ou neutres comme un sursaut de stupeur angoissée. Comme à la lueur d’un éclair, on entrevit toute l’œuvre passée