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naissance ; c’est un moine français, c’est un pape français qui prêchèrent la première ; c’est un roi français qui dirigea les deux dernières ; et ce sont les Français qui y participèrent le plus généreusement. Le Français ne se bat jamais aussi bien que lorsqu’il sent que sa cause le dépasse et que son intérêt matériel n’est pas seul en jeu. Certes, il aime son pays et pour défendre le sol natal il consent aux plus lourds, aux plus sanglans sacrifices ; mais il est heureux que ces sacrifices profitent à d’autres qu’à lui-même et à ses proches ; et quand ces sacrifices lui sont demandés non seulement pour sa patrie, mais pour le triomphe d’une de ces grandes idées généreuses, humanité, religion, justice, civilisation, liberté, qui soulèvent l’homme au-dessus de lui-même, et mêlent à sa personne éphémère quelque chose des lois éternelles, alors il donne sa vie avec cette sorte d’ardeur mystique qui le rend si terrible sur les champs de bataille. Au fond, les vraies guerres françaises, — et nous le voyons bien en ce moment, — sont, plus ou moins, des croisades. Les guerres de la Révolution ont été des guerres de défense nationale, et, tout à la fois, des guerres de propagande révolutionnaire. Les volontaires de 1792 se croyaient avec une sincérité touchante les missionnaires de la liberté dans le monde. La Législative n’avait-elle pas déclaré que la France « n’entreprenait pas la guerre dans le but de faire des conquêtes ? » Et plus tard, après Jemmapes, que disait la Convention ? « La Convention nationale déclare, au nom de la Nation française, qu’elle apportera secours et fraternité à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté. » On parle de liberté, au lieu de parler du« tombeau du Christ : » l’esprit, au total, n’a point changé.

Il n’y a donc pas d’histoire moins étroitement nationaliste que l’histoire de la France, et cela est vrai même de son histoire intérieure. La France rayonne au dehors par son esprit et par son exemple, même quand elle paraît uniquement absorbée en elle-même. La première des nations de l’Europe féodale, elle avait conçu un régime de monarchie fortement centralisée ; et ce régime, à peine inauguré chez nous, devint bien vite le « modèle idéal » vers lequel s’orientèrent tous les grands États modernes. Nous n’avons, en France, jamais cherché à imiter l’Espagne, la Russie ou l’Allemagne. Mais il n’est pas, au XVIIe et au XVIIIe siècle, de principicule allemand qui