Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/874

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailleurs, le résultat des guerres révolutionnaires et impériales n’a-t-il pas été d’éveiller les diverses consciences nationales et d’encourager leurs aspirations ? Et Napoléon lui-même n’a-t-il pas commencé l’unité allemande ?


Ainsi donc, même quand elle pratiquait avec quelque intempérance « l’égoïsme sacré, » la France avait peine à s’y tenir. Il faut insister là-dessus : c’est un trait essentiel de son histoire. La plupart des guerres qu’elle a entreprises pour consommer ou pour défendre son unité nationale avaient en même temps pour objet de garantir ou de consolider l’équilibre européen. Ne point permettre qu’une puissance exerçât l’hégémonie en Europe, courbât sous son despotisme d’autres États plus faibles ; vouloir l’indépendance pour les autres comme on la veut pour soi-même ; établir entre les forces respectives et les ambitions des divers peuples un équilibre stable ; les limiter les uns par les autres ; leur assurer à tous le libre développement de leur génie propre ; s’opposer à tout empiétement, à toute usurpation, et cela, non pas seulement par amour de la paix, mais par amour de la justice : à cette politique traditionnelle la France trouvait assurément son intérêt ; mais elle n’était pas la seule à en bénéficier : et elles sont, au total, assez rares, les victoires françaises qui n’ont point été par quelque côté des victoires d’intérêt européen. Supposez que Philippe-Auguste n’ait pas été vainqueur à Bouvines : l’avenir de l’Europe eût été aussi profondément modifié que l’avenir de la France elle-même. Si Jeanne d’Arc n’avait point réussi dans sa mission, la France devenait anglaise, et, de nouveau, la cause de la liberté européenne se trouvait singulièrement compromise. Si la France a tant lutté contre la maison d’Espagne et la maison d’Autriche, c’est sans doute parce qu’un si puissant empire constituait pour elle un danger de tous les instans ; mais le danger n’était guère moins grand pour les autres nations de l’Europe ; et le traité de Westphalie, en même temps qu’il consacrait la victoire de la diplomatie et des armes françaises, a été, pour près de deux siècles, la charte du droit européen. Et la France ne s’est pas contentée d’assurer aux autres peuples le droit à l’existence ; elle a aidé, de son or et de son sang, plusieurs nationalités à se constituer. L’unité italienne est son œuvre ; et si l’on peut dire que la cession de la Savoie et du comté de Nice a bien payé