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nouvelles invasions ; enfin, il fit de Paris sa capitale. A sa mort, il y avait une France. Mais la France de Clovis fut vite démembrée, et il fallut de longs siècles et de longues épreuves pour la reconstituer. Ce fut surtout l’œuvre patiente, obstinée, de la troisième race de nos rois. A travers bien des vicissitudes, appuyés d’ailleurs sur le sentiment public, ils eurent à reconquérir la France sur d’innombrables roitelets français et sur de puissans voisins, toujours à l’affût de nos faiblesses et des riches proies qu’ils trouvaient sur notre sol. Et le résultat de leur bravoure, de leur politique et de leur persévérance fut tel, qu’au sortir du moyen âge, la « douce France » est devenue une réalité politique : elle est le premier des États de l’Europe moderne dont l’unité soit un fait accompli. Unité encore imparfaite, sans doute, puisque, à l’heure actuelle, le rêve de notre ancienne monarchie, — nos frontières naturelles, — n’est pas réalisé, — peut-être le sera-t-il demain ; — mais unité solide et durable, et qui pourra bien s’élargir, mais qui n’est plus à fonder.

Pour la fonder, cette unité, si longtemps précaire et toujours menacée, il fallut bien des guerres, de longues et, parfois, d’interminables guerres. La France, d’instinct sans doute, puisqu’elle est fille de la Gaule, mais par nécessité aussi, a été une grande nation militaire. Elle a connu et pratiqué tous les genres de guerre : guerres de défense et guerres de conquête, guerres d’équilibre et guerres d’expansion, guerres d’hégémonie et guerres de propagande. Mais il est à remarquer que presque toutes les guerres qu’a provoquées ou soutenues la France se ramènent à des guerres défensives, ou, si l’on préfère, à des guerres d’unité nationale. Les guerres d’Italie ; les guerres, toujours renaissantes, contre la Maison d’Autriche ; la plupart même des guerres de Louis XIV n’ont pas eu d’autre objet : il s’agissait avant tout de compléter ou de consolider notre unité, de repousser loin de nos frontières un ennemi trop puissant et ambitieux, de prévenir ses orgueilleux desseins, de le réduire à l’inaction ou à l’impuissance. Il n’est même pas sûr que des préoccupations de cet ordre aient été absolument étrangères à Napoléon, et qu’il se soit, toujours et partout, laissé entraîner par le pur esprit de conquête et de domination ; en tout cas, ses armées avaient la conviction, souvent illusoire, de combattre les « tyrans » et de lutter tour la liberté du monde. En fait,