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une fois, est parfaitement vrai. Mais il y a dans Descartes plus d’une page qui rend un tout autre son : et les philosophies plus récentes de la liberté, de l’effort volontaire, de l’intuition qui, d’ordinaire, se rattachent elles-mêmes, et fort justement, à Pascal, peuvent aussi se recommander, dans une certaine mesure, de l’auteur du Discours de la méthode. Et le cas de Descartes n’est point unique chez nous.

C’est que la plupart de nos philosophes, de même qu’ils ne désertent pas volontiers le terrain de l’observation scientifique, de la réalité matérielle, n’aiment pas à quitter non plus le solide terrain de la réalité morale. Quel que soit leur goût instinctif pour les aventures métaphysiques, ils savent le refréner parfois pour se livrer à de plus modestes enquêtes psychologiques ou morales. « Le point de vue de Sirius, » comme disait Renan, s’il ne leur est pas tout à fait indifférent, n’est pourtant pas leur préoccupation dominante. Au fond, c’est à l’homme surtout qu’ils s’intéressent, et ce sont les problèmes humains qui par-dessus tout les attirent. L’âme humaine leur est une énigme plus troublante et plus utile à déchiffrer que toutes les énigmes de l’univers. Et c’est là qu’ils en reviennent toujours. Or, à étudier sans relâche cette mobile et fuyante réalité, ils se sont formé de la vérité une idée plus souple, moins arrêtée, plus vivante pour tout dire, que celle dont, en d’autres pays, les purs logiciens se sont forgé la dure image. Les théories de nos philosophes restent ouvertes aux observations et aux recherches ultérieures. Ils n’ont pas la prétention d’y enfermer l’absolu. Ils laissent à d’autres le soin de rectifier, de compléter, d’enrichir leurs conceptions personnelles, et la philosophie ainsi entendue et ainsi pratiquée a quelque chose du libre mouvement, de la continuité Ondoyante de la vie. Ayant tous le sentiment que l’âme humaine est chose infiniment complexe et diverse, il ne leur viendrait jamais à l’esprit de proclamer supérieur à tous les autres, d’imposer à l’admiration et à l’obéissance universelles tel type particulier d’humanité nationale, et au contraire, c’est dans la coexistence de multiples formes d’esprit, ayant chacune leur droit imprescriptible à l’existence, qu’ils aperçoivent la condition essentielle de tout progrès. La philosophie française a toujours cru à la liberté, et jamais elle n’a pu se résigner à l’apologie du despotisme : c’est là un de ses caractères les plus constans : ni Hobbes, ni Hegel,