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importe à toute la vie de savoir si l’âme est mortelle ou immortelle. » Pareillement, eût dit Racine, que nous importe le paysage où se déroule la tragique histoire de Phèdre ? Ce qui nous intéresse, c’est l’âme de Phèdre, c’est la manière dont elle réagit contre la folle passion qui l’envahit et qui l’obsède ; ce sont les fluctuations de sa conscience morale ; et quel paysage matériel vaudrait ce paysage intérieur ? Tous les écrivains du XVIIe siècle ont été là-dessus de l’avis de Racine. Tous, poètes, dramaturges, orateurs, romanciers, philosophes, ont fait du cœur humain leur unique étude ; tous ont essayé d’enfermer dans leur œuvre la plus grande somme possible d’observation morale. De là la richesse psychologique de toutes ces œuvres. « Une psychologie vivante : » la célèbre définition de Taine ne s’applique peut-être pas à toute espèce de littérature ; mais elle convient excellemment à la littérature du XVIIe siècle.

On notera que nos grands classiques, s’ils ont été de très pénétrans psychologues, n’ont pas été des psychologues désintéressés. Connaître pour connaître, fut-ce la plus intéressante des réalités, n’est point leur idéal. Leur attitude en face de l’homme n’est point du tout celle du « naturaliste, » ou du savant qui observe, constate des faits, établit des lois et, ce travail accompli, croit son rôle achevé. Autant que des psychologues, ce sont des moralistes. Ils ne se contentent pas d’étudier et de connaître l’homme ; ils se proposent de lui fournir une règle de vie ; ils le veulent meilleur et plus heureux. De leur long voyage d’exploration et d’étude, ils sont revenus sans illusion sur la nature humaine ; ils la croient profondément mauvaise et perverse, en proie aux plus bas instincts, aux plus misérables passions. Pour mater ces instincts, pour dompter ces passions, pour faire luire dans toute cette misère un rayon d’idéal, de vertu et de bonheur, ils ne voient tous, ou presque tous, qu’un seul remède : l’acceptation d’une règle religieuse, la soumission de tout l’être intime à une tradition hautement vénérable, et qui, d’ailleurs, a fait ses preuves. À cette condition, pensent-ils, mais à cette condition seulement, l’homme pourra être heureux, autant du moins que le comporte sa destinée mortelle, et il se ménagera, pour la vie future, le bonheur infini auquel il aspire.

Comme les écrivains du XVIIe siècle, ceux du XVIIIe sont