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— hiérarchie de commandemens et d’obéissances. Quand il s’agit d’honorer l’héroïsme, on ne reconnaît plus que des égaux. Dans quelle autre armée voit-on les citations à l’ordre du jour mêler les noms des généraux et des soldats ?


On nous donne des casques (car c’est bientôt l’heure où les canons boches redeviennent actifs), et en route vers la première ligne ! — d’abord par les sentiers de boue (boue de juin qui donne idée de ce que doit être l’Argonne en hiver), et puis, par les boyaux de communication, sur les rondins glissans, et qu’une eau jaune, çà et là, submerge. Probablement, si l’on noua avait laissés nous aventurer seuls ici, nous n’aurions rien remarqué, dans cette verte solitude, que les mystérieuses détonations, au ras de terre, rompant le silence, et les trilles d’oiseaux qui se répondent. Mais le chef qui a organisé ce secteur est avec nous : c’est son œuvre qu’il nous montre, et dont il veut tout faire comprendre. Pas une pente, pas un creux de cette terre fangeuse, dans le demi-jour des sous-bois, qu’il n’ait étudiés pour en tirer parti. Le principe, c’est de « canaliser » toute attaque ennemie, c’est, en opposant à la troupe assaillante certains points de résistance, — artillerie, fortins, chevaux de frise, fils de fer, — de l’obliger à se répandre et s’enfoncer en des chenaux de plus en plus ramifiés, dont on lui permet l’entrée, et où elle doit trouver sa destruction, car en chacun de ces pièges elle tombe sous l’enfilade de mitrailleuses ou de canons, — et qui tenterait d’en sortir, serait rejeté dans une nasse pareille et plus profonde. Au bout du fatal réseau, la masse ennemie, comme une eau qui s’épuise en cheminant, n’arriverait pas. Contre une telle défense, rien ne vaudrait que la destruction même du sol, comme à Douaumont ou à Vaux, par coups de mines (et la guerre ici tend à devenir toute souterraine), ou bien par obus plongeans de gros calibres ; mais dans cette glaise molle, plus invulnérable que les coupoles d’acier, il arrive à chaque instant que les obus se fichent sans éclater.

Tout est prévu d’ailleurs pour résister au bombardement. On nous montre des blockhaus qui tiennent du château fort et de la fourmilière, avec leurs meurtrières et leurs douves, avec leurs galeries intérieures, leurs longs tunnels d’issue, leurs plus