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avouées, sans parler de huit à neuf cent mille ajournées. L’Empereur, qui est informé que « les dépenses de cette maison sont fort désordonnées, » écrit (1er novembre) à Mollien pour qu’il déclare au nouvel intendant, M. de Montlivault, que la Couronne ne paiera plus le million assigné pour le douaire s’il ne rapporte la preuve que toutes les dettes sont éteintes. Il s’agit de ramener Joséphine à quelque prudence et de lui faire peur.


A Malmaison, le 27 octobre (1811).

« Ton silence, mon cher Eugène, me fait craindre que tu ne croies avoir à te plaindre de moi. Tu ne serais pas juste, mon cher fils. Tu dois savoir combien il m’aurait été doux d’aller passer l’hiver avec toi, mais plusieurs motifs m’en ont empêchée, et tu vas juger toi-même qu’il n’y a pas de ma faute. J’avais depuis quelque temps des sujets d’inquiétude relativement au million qui m’est assigné par l’Empereur sur le Trésor de la Couronne. Le duc de Frioul avait laissé entendre à mon intendant général que l’Empereur pourrait bien le retrancher de mon revenu et, dernièrement, une lettre de M. Estève est venue augmenter mes craintes. Il a écrit à M. de Montlivault qu’il avait ordre de ne pas me payer le million l’année prochaine, à moins qu’il ne lui fût délivré par mon intendant une attestation qu’il ne me restait aucune dette. Cette dernière condition n’est pas ce qui m’inquiète, car je puis t’assurer que toutes mes dettes seront payées à la fin de l’année. Mais j’ai craint que cet avis ne fût pas d’un bon présage et qu’il ne m’annonçât pour l’avenir une rigueur dont je serai d’autant plus affligée que je ne l’aurai pas méritée. L’Empereur a plus d’une fois rendu justice à ma conduite, et je sens qu’il ne peut me faire aucun reproche. Tu juges, mon cher Eugène, que, dans l’incertitude où j’étais, je n’ai pas dû m’éloigner. L’absence ne pouvait que me nuire, si j’étais dans le cas de faire des réclamations. Cependant j’aime à me persuader que cette mesure de l’Empereur n’a eu d’autres causes que son intérêt pour moi et le désir que je sois heureuse. Il a été trompé par Pierlot et il ne veut plus que je le sois. Je serais bien malheureuse d’avoir à craindre le contraire. La retenue d’un million serait une diminution considérable dans ma fortune et me mettrait hors d’état de conserver ma maison telle qu’elle est, mais la cause me serait bien plus sensible que la perte même. Tu sais que les