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groupes, d’admirer ce spectacle ; mais rentré dans sa cellule donnant sur la montagne, c’était, contraste impressionnant, de calme le plus profond, le silence complet coupé un instant dans la nuit par le bruit de la crécelle appelant les moines à la prière.

Au jour, l’archimandrite passe dans les dortoirs et partout, docteurs, infirmières, Croix-Rouges, se lèvent de leurs couches de paille et c’est, pendant une heure ou deux, dans la cour, la préparation du départ ; avant de se mettre en route, chacun visite l’église. Nous attendons que la foule soit partie pour y entrer à notre tour.

Les moines y chantaient un Te Deum solennel en l’honneur du Tsar dont le représentant se tenait à la place traditionnelle du protecteur de l’Eglise orthodoxe. Les trois ministres alliés vont se ranger auprès de lui ; mais la cérémonie est trop longue, il faut partir, non sans avoir déposé son offrande sur la châsse du saint, devant l’iconostase. Derrière nous, un petit Albanais s’avance et dévotement baise la relique ; mais on s’empare de lui, il volait le billet de cent dinars laissé par l’un de nous.

De nouveau, nous passons par le village aux koulés fortifiés de Detchan et nous nous engageons sur la route d’Ipek. Des orages ont tout dernièrement dévasté la plaine de la Métochie ; il ne reste plus un pont sur la Bistritza de Detchan, ni sur ses affluens, ruisseaux ou torrens que nous devons traverser à gué. A un endroit, la rivière est trop large, le courant trop violent ; des gendarmes monténégrins y sont postés à notre intention ; ils soutiennent nos pas sur quelques planches jetées sur les piles du pont que répare une corvée d’Albanais. Arrivés sur l’autre rive, nous attendons que voitures et bêtes de charge aient pu franchir le courant. Anes et chevaux passent où ils veulent ; on les pousse dans la rivière et ils avancent ; l’eau, rapide, les arrête ; à force de cris, de gestes, on les décide à continuer ; mais l’un d’eux trébuche, tombe, route dans le courant ; tout le long de la rive, gendarmes monténégrins, guides albanais courent, cherchant un endroit peu profond où ils pourront, si la bête n’est pas encore noyée, essayer de la remettre sur pied ; on la sauve, mais la charge s’est défaite ; des valises sont perdues. Pendant ce temps, prudemment, une à une, les voitures s’avancent dans le gué ; sur leurs sièges que l’eau atteint, les cochers paraissent peu rassurés ; grâce à quelques pièces de monnaie généreusement distribuées, des Albanais