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porter. Elle voudrait la paralyser, en lui enlevant l’initiative. Mais la finesse italienne est séculairement à l’épreuve de l’astuce autrichienne et de l’astuce allemande conjuguées. La réponse de Cadorna pourrait bien venir de son colloque avec Joffre, et de la conférence tenue à Paris, quelques jours après. D’où qu’elle sorte, et où qu’elle lui soit signifiée, dès maintenant l’Autriche aurait tort de se flatter que cette réponse puisse être telle qu’elle la souhaite.

François-Joseph ne l’entendra pas. Il s’est éteint, en son château de Schœnbruhn, à l’âge de quatre-vingt-six ans, paisiblement, disent les dépêches; avec des mots inintelligibles, à la suite d’une crise de larmes ; il nous plaît de croire qu’à cet âge, lorsque des millions de jeunes gens sont morts à cause de lui, il ne pleurait pas sur lui-même, et qu’à cette heure, ce n’était déjà plus devant les hommes qu’il pleurait. On ne s’est pas fait faute de remarquer que son règne, qui a duré soixante-huit ans, fut le plus long des temps modernes après le règne de Louis XIV. Mais cet astre ne fut jamais très brillant; il lui manqua la grandeur et l’éclat; et ce n’est que par leurs misères que les deux monarques se ressemblent. La fin de l’un rappelle assez bien celle de l’autre; 1916 évoque le souvenir de 1715. Louis XIV et François-Joseph eurent entre eux ce point commun de voir disparaître successivement tous leurs héritiers les plus proches et de s’épouvanter du vide qui se creusait sous leur trône. Guillaume II, à qui l’on ne saurait disputer le privilège du mot en situation, s’est empressé d’écrire au nouvel empereur Charles : « Le règne de l’Empereur défunt comptera dans l’histoire de la monarchie comme une ère de bénédictions. » C’est une manière d’écrire cette histoire, mais il y en a d’autres, et de plus véridiques. L’observateur le plus indifférent ou même le plus hostile tremble d’horreur et de pitié en songeant à l’accumulation de ces bénédictions, publiques et privées, si abondantes que la vie de François-Joseph est sans doute la première vie de prince, et peut-être la première vie d’homme, pour laquelle on ait en l’idée de dresser un graphique de ses calamités. Bénédictions de l’empire qui s’appellent Magenta et Solférino. la Lombardie, Sadowa, la Vénétie, par-dessus tout, la suprême bénédiction de la présente guerre consommant et consacrant l’asservissement de l’Autriche à l’Allemagne; bénédictions de la famille : l’exécution de Maximilien, le suicide ou l’assassinat de l’archiduc Rodolphe, l’assassinat de l’impératrice Elisabeth, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand; et ce résumé très abrégé néglige la rosée des bénédictions mineures.

Les courtisans et les panégyristes ont mené grand bruit de