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vraie victoire. Elles ont enlevé, dans cette boucle de l’Ancre qui couvre Bapaume, les villages, savamment fortifiés, de Saint-Pierre-Divion, de Beaumont-Hamel, de Beaucourt. Huit kilomètres de la ligne allemande sont tombés, ou ont subi un de ces « fléchissemens élastiques » dont, à la longue, on ne se relève plus. Les Anglais ont fait, dans ces deux journées et dans les suivantes, tout près de sept mille prisonniers, capturé des canons, du matériel de tranchées, des munitions, des approvisionnemens, donné un fort coup de lime sur l’épée allemande, usé une quantité notable de force allemande. Dans le même temps nous reprenions, au Nord de la Somme, le hameau de Saillisel, une première fois pris par nous, et perdu. Puis une sorte d’apaisement s’est fait, à peine troublé, sur la Meuse, par le bombardement des décombres de Douaumont ; interrompu, un peu partout, par le spectacle, où l’audace française s’amuse toujours, de luttes aériennes entre avions. Mais les pluies et le brouillard ne sont pas sans doute les seules causes de cette espèce de sommeil des armées. Et, certes, nous avons supporté de pires angoisses ; nous sommes résignés, nous sommes résolus à tout supporter tant qu’il le faudra ; néanmoins, ces trois mois d’hiver, s’ils devaient être tout à fait vides, coûteraient à notre impatience de voir le territoire national libéré, le droit vengé, le crime puni. Ah ! vienne vite le printemps, si bien préparé de semaine en semaine, que nous puissions, au premier soleil, dire sans retard : « Levez-vous, orages désirés ! »

Vainqueur aussi la quinzaine dernière, le général Cadorna se réserve dans les Alpes Juliennes et sur le Carso. Peut-être est-il au carrefour de deux routes, et se demande-t-il laquelle est la meilleure, quoiqu’elles conduisent toutes les deux au même but : Trieste par Trieste, ou Trieste par Laybach (que la géographie pardonne ce détour à la politique). Peut-être encore est-il retenu par le bruit, mis en circulation, d’une nouvelle offensive autrichienne qui se déclencherait du Trentin. Mais précisément ce bruit n’a-t-il pas été, avec trop de soin, « mis en circulation, » et ne serait-ce pas une simple offensive en paroles, combinée par les chancelleries plus que par les États-majors, exécutée sur le papier par une presse docile et complaisante ? Il semble que l’Autriche ait, à cette heure, mieux à faire que d’attaquer ; en tout cas, que d’attaquer sur le lac de Garde, quand elle attaque déjà sur les Alpes de Transylvanie, quand elle-même est attaquée en Galicie, sur les Carpathes, sur le Carso. Ce qu’elle veut, c’est que, pour lui permettre de se tirer d’embarras, l’armée royale lui laisse du répit, et ne bouge pas, dans l’incertitude du lieu où il lui faudra se