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et trop imprévoyant qu’elle ne fût pas, nous ne savons pas précisément en quel endroit, de quels élémens, ni sous quel chef elle se forme. Nous savons simplement, et il nous suffit pour l’instant, que depuis plusieurs jours des renforts russes ne cessent de traverser Galatz, tandis que, sur les deux rives du Danube, et en Dobroudja, on ne signale que des canonnades et des fusillades intermittentes. Dans ce calme, la tempête s’amasse : dans ce silence et dans cette ombre, ayons-en la foi, se forge pour la Roumanie l’instrument du salut. Mais l’intervention ne doit pas être différée. Mackensen a passé le Danube en deux endroits au moins, à Zimmitza et à Islazu ; il a poussé jusqu’à Alexandria; et, dans cette région, les armées allemandes, si elles n’ont pas fait leur jonction, se touchent par leurs avant-gardes. Alexandria, sur la route qui part de Turnu-Magurele, est à une centaine de kilomètres au Sud-Ouest de Bucarest; Rimnik, au Nord-Ouest, à 160 ; Pilechti, où se croisent les Lignes de Craïova par Slatina, et de Kronstadt par Tzanpulung, à 100 kilomètres aussi.

Des alliés de la Roumanie, dressés en une pressante aspiration vers elle, dans la rude épreuve où elle est plongée, si les Russes de Sakharoff sont seuls à portée de la secourir de tout près et tout de suite, cependant une aide plus lente et, à cause des distances, plus faible, mais non pas inefficace, peut en supplément lui venir de « pressions latérales. » Des Russes encore, de ceux de Letchitsky au Midi de Dorna-Vatra, dans les Carpathes boisées, et au bord de la Transylvanie, sur les derrières de l’armée austro-hongroise du général von Arz. De l’armée alliée de Salonique, qui fait maintenant beaucoup mieux que d’accrocher les Bulgares et de leur donner à retordre du fil de fer barbelé. La prise de Monastir a empli de joie tous les cœurs : après les plus récens succès dans la boucle de la Cerna et autour du lac de Prespa, on l’attendait assurément, mais on croyait l’attendre davantage. Quand on l’apprit, vers trois heures, le dimanche 19 novembre, qui fut un clair et beau dimanche, il courut dans la foule un de ces frissons brefs qui ne sont des signes que d’une émotion fière et saine. En un clin d’œil, les marchands de journaux furent dévalisés, et les passans, sans s’être jamais vus, s’arrêtaient pour se communiquer l’heureuse nouvelle, comme il arrive au soir des grandes journées. L’entrée ou la rentrée des troupes serbes, françaises et russes dans Monastir apparaissait d’abord comme le premier pas sur la voie glorieuse, après tant de pas sur les voies douloureuses, comme le premier acte de réparation et de restauration envers un peuple de héros et de martyrs; et ce