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doute, si, entre ceux du vice et de la vertu, il avait perçu encore d’autres sentiers offerts à son caprice.

C’est ainsi qu’on pouvait se demander, vers la fin du siècle passé, si la guerre prochaine aurait le caractère mobile et rapide des guerres napoléoniennes et-de la plupart des guerres postérieures, ou si, au contraire, elle serait modelée sur les précédens plus rares, analogues à Plewna. Il faut reconnaître que la plupart des théoriciens, comme il était naturel, penchaient vers la première opinion. Quelques auteurs pourtant, contrairement à ceux-là, entrevoyaient une forme de guerre où le retranchement reprendrait un rôle prépondérant, et leurs prévisions étaient fondées, non pas sur les dernières guerres, dont le caractère était, au contraire, dans la plupart des cas, défavorable à leur thèse, mais sur des raisonnemens où entraient en ligne de compte certaines modifications récentes de l’armement (poudre sans fumée, etc.), et aussi la masse d’hommes sans précédent que la guerre éventuelle devait mettre en ligne. Il convient d’ailleurs de remarquer que les théoriciens qui ne croyaient point à une guerre de mouvemens, n’étaient point pour cela en contradiction avec la doctrine napoléonienne, qui reste l’évangile de tous les hommes de guerre, car Napoléon a dit : « La tactique change tous les dix ans, » et c’est peut-être, en quelque sorte, être infidèle à ses principes que de vouloir que la tactique, qui fut bonne en son temps, reste intangible et invariable.

Parmi les prophètes de la guerre actuelle de tranchées on a coutume de citer l’écrivain russe Jean de Bloch et l’illustre romancier anglais Wells. Certes, comme nous le verrons, ces deux écrivains ont fait preuve dans leurs prévisions d’une perspicacité remarquable. Mais ce qu’on ignore généralement, c’est que leurs travaux ont eu un précurseur dont ils sont visiblement inspirés, un précurseur français, le lieutenant-colonel d’artillerie Emile Mayer qui, sous le pseudonyme d’E. Manceau, a publié des prévisions dont certaines remontent à une trentaine d’années. Elles n’ont malheureusement pas attiré l’attention comme elles l’eussent mérité, par leur rigoureuse logique qui fait table rase de tout apriorisme, par leur lucide originalité, par leur intelligente et profonde interprétation des faits à laquelle les événemens actuels ont apporté une éclatante confirmation.

C’est de ces prévisions du colonel Mayer que je voudrais d’abord entretenir brièvement mes lecteurs pour fixer à leurs yeux un point mal connu de l’histoire des doctrines militaires.