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perdent de leur importance. Mais bientôt survient un de ces nouveaux reflux qui font perpétuellement osciller, d’un va-et-vient continu, les choses humaines entre les mêmes limites : c’est Plewna où les principes de Vauban trouvèrent peut-être leur application et leur justification les plus éclatantes du siècle passé.

Enfin et tous près de nous, c’est le Transvaal, Moukden, Tcha-taldja, qui prolongent la courbe dans le sens indiqué par Vauban. Nous reviendrons tout à l’heure sur les leçons que certains esprits éminens, comme le général de Négrier, tirèrent de ces dernières guerres, et qui n’attirèrent peut-être pas l’attention comme elles le méritaient. Mais auparavant, je voudrais examiner certaines prévisions antérieures à ces guerres récentes, passées complètement inaperçues ou un peu dédaignées lorsqu’elles furent émises, et qui se raccordent d’une façon singulière aux réalités actuelles.

En tout cas, de ce que nous venons de voir, il résulte avec évidence que la guerre de retranchemens en rase campagne est loin d’être une nouveauté dans l’histoire, et que c’est un peu trop oublier celle-ci que de parler, au sujet de cette sorte de guerre, d’une forme absolument nouvelle de la bataille.


Avant que les guerres du Transvaal, de Mandchourie et des Balkans n’eussent fourni quelques points de repère récens favorables à une extrapolation, il était vraiment difficile d’imaginer avec précision quel serait le caractère de la conflagration qui inévitablement devait, un jour prochain, mettre le feu à l’Europe.

En matière militaire, comme en matière historique et sociale, il est extrêmement malaisé de vaticiner. De là vient précisément la difficulté de gouverner, puisque gouverner, c’est prévoir, et qu’en particulier se préparer à la guerre suppose qu’on connaît les modalités qu’elle offrira. Dans l’incertitude où l’on est pour prophétiser des affaires humaines, l’esprit a du moins cette sécurité relative que la plupart de ces affaires ne peuvent en général évoluer que dans deux sens distincts. C’est un peu comme dans la prévision du temps : le temps demain sera-t-il beau ou vilain ? Quelle que soit la réponse, on n’a en moyenne qu’une chance sur deux de se tromper, car, même si le temps n’est ni beau ni laid, on ne se sera trompé qu’à moitié. Ceux qui ont la hardiesse de vouloir prophétiser se trouvent donc, en général, un peu dans la situation d’Hercule, qui n’avait à choisir qu’entre deux chemins, et dont l’embarras eût été beaucoup plus grand sans