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promener parmi ses jardins, ses fontaines, M. de Bechameil ; et, sans doute, M. de Bechameil était un homme de bonne mine et tout à fait au gré des dames : un financier, par ailleurs. M. Bernard ne vaut-il pas M. de Bechameil ? Bref, il répond au contrôleur général : « Quand on a besoin des gens, c’est le moins qu’on fasse la demande soi-même ! » Le contrôleur n’obtint pas une autre réponse. Il le dit au Roi ; et l’on s’arrangea comme ceci. Un jour, sur les cinq heures, le Roi sortit à pied. C’était à Marly. Le Roi passa négligemment devant tous les pavillons. Il s’arrêta au pavillon du contrôleur général. Desmarets avait chez lui Samuel Bernard, pour dîner et pour travailler ensemble. Desmarets se présenta : et Samuel Bernard n’était pas loin. Le Roi dit à Desmarets qu’il était bien aise de le voir avec M. Bernard ; et il dit à M. Bernard, tout de même que si cette gracieuse idée lui venait à l’esprit soudainement : « Vous êtes bien homme à n’avoir jamais vu Marly, venez le voir à ma promenade, je vous rendrai après à Desmarets. » M. Bernard, on l’imagine, est satisfait. M. Bernard suit donc le Roi. Et, pendant tout le temps que dure la promenade, le Roi ne parle qu’à deux des personnes qui le suivent : c’est à M. Bergheyck, — celui-ci gouvernait en Flandre les finances du roi d’Espagne, — et à M. Bernard ; il ne parle pas à M. Bergheyck plus qu’à M. Bernard. Il conduit ces messieurs partout, les invite à tout regarder et admirer, leur prodigue « les grâces qu’il savait si bien employer quand il avait dessein de combler. » Saint-Simon, qui était là et n’ignorait pas que le Roi fût, d’habitude, fort avare de ses paroles, s’étonnait de le voir si complaisant pour « un homme de l’espèce de Bernard : » ce n’est pas du tout le sentiment de Bernard. Saint-Simon bientôt ajoute : « Je ne fus pas longtemps sans en apprendre la cause et j’admirai alors où les plus grands rois se trouvent quelquefois réduits. » M. Bernard, après une telle promenade qui l’a bouleversé d’orgueil, rentre chez Desmarets. Il exulte de joie et tout de go déclare « qu’il aime mieux risquer sa ruine que de laisser dans l’embarras un prince qui vient de le combler. » Desmarets profite d’un enthousiasme si opportun et tire du bonhomme plus encore qu’il ne pensait demander. M. le Duc d’Orléans eut, pour sa guerre en Espagne, des lettres de Samuel Bernard montant à six millions de livres : et le crédit de Samuel Bernard n’était jamais protesté en Espagne. Samuel Bernard donna ce qu’on voulut.

Il avait une remarquable présence d’esprit, le savait bien et, à l’occasion, s’en glorifiait. En 1705, année inquiétante et qui faillit être désastreuse, il écrit à Chamillart : « J’étais chargé pour l’Italie, la