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obligé si vous pouvez trouver quelque remède et ne serai point du tout surpris si tout continue d’aller de mal en pis. » Le mauvais état des finances royales, et l’augmentation des dépenses, les guerres, tout le train de la vie française alors, Samuel Bernard s’en occupe. Les contrôleurs Pontchartrain, Chamillart et Desmarets s’adressent à lui constamment : et il ne refuse jamais de les obliger, sans y perdre. Sa première opération d’envergure, ce fut à propos du trône de Pologne, que Louis XIV désirait de conférer à François-Louis de Bourbon, prince de Conti. Mais il fallait de l’argent ! Pontchartrain fit mander Samuel Bernard et lui ordonna de procurer sept cent mille livres en or « dont on avait besoin pour faire partir M. de Conti. » Au bout de vingt-quatre heures, Samuel Bernard revint : il apportait un million de livres en or et dix millions en argent. Si M. de Conti ne régna point effectivement sur la Pologne, c’est qu’il préférait le séjour de Paris : ce n’est pas la faute de Samuel Bernard. Et cette aventure, en somme, fut un échec pour tout le monde, voire pour le Grand Roi : mais non pour Samuel Bernard, que Dangeau appelle, cette année-là, le plus grand banquier de l’Europe.

Cette année-là : 1697 ; et il n’a guère mis plus de dix ans à devenir le plus grand banquier de l’Europe. Il a quarante-six ans et il est un personnage dans le royaume. « Il sentait ses forces, dit Saint-Simon, — qui le connaissait et même eut recours à lui, jusqu’à lui devoir deux cent mille livres ; — il y voulait des ménagemens proportionnés et les contrôleurs généraux, qui avaient bien plus souvent affaire de lui qu’il n’avait d’eux, le traitaient avec des égards et des distinctions fort grandes. » Montesquieu n’approuve pas que la richesse fasse aux traitans une « position honorée ; » il assure que, si les choses tournent ainsi, « tout est perdu : » cependant nous survivons, tant bien que mal, au succès et à la gloire de Samuel Bernard. Et Montesquieu en parle à son aise. Il énonce des principes : le Roi et ses contrôleurs généraux travaillaient dans la réalité, ne songeaient point à se passer de l’indispensable M. Bernard et, au bout du compte, prenaient M. Bernard comme il était. Montesquieu a dit que le principe du gouvernement républicain, c’est la vertu : propos d’un philosophe, mais le Roi, quand il s’agit de « couper la bourse à M. Bernard, » selon le mot de Saint-Simon, voici comme il procède. En 1708, le trésor royal est à sec. Desmarets a maintes entrevues avec M. Bernard. Seulement, M. Bernard, qui est en avance de plusieurs millions, fait le difficile, et chicane, et grogne. Il sait à part lui que jadis, un matin de bel été, le Roi n’hésita point à