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mille écus et qui devaient lui donner environ huit mille livres de rente. Or, après la mort de Samuel, un de ses fils, le frère de celui qui avait épousé Mlle de Saint-Chamans, fit une maladroite banqueroute : maladroite, car lui aussi, le grand Samuel, avait en 1709 manqué d’une trentaine de millions, mais il s’était tiré d’affaire au point que Saint-Simon prétend que, sa banqueroute, il en avait tiré profit. Le fils ne valait pas le père ! Et, en 1761, Voltaire, écrivant à Helvétius, accable de sa rancune « le fils de Samuel Bernard, juif fils de juif. » Il n’y a peut-être, dans ces mots, qu’un signe de mauvaise humeur. Les juifs n’étaient pas seuls à travailler dans le négoce de l’argent ; mais ils y étaient fort habiles. Et les Bernard avaient, parmi leurs relations et leurs alliances de famille, beaucoup de juifs certainement. Samuel Bernard avait pour mère la fille d’Abraham Le Queux ; et une sœur de Samuel Bernard épousa un fils d’Iezémie Horquelin, père d’Abraham Horquelin. Peut-être les Bernard ont-ils passé au protestantisme quand ils sont venus d’Amsterdam à Paris. Du reste, ils n’apparaissent pas comme des gens très entêtés d’une religion. L’édit de Nantes leur faisait un protestantisme assez quiet : seulement, le règne de Louis XIV tournant à la sévérité, ils eurent à prendre leurs sages précautions. Samuel Bernard premier du nom, père du financier, peintre du Roi, miniaturiste et graveur, était « peintre et professeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture. » Mais, en 1681, le Roi fut informé que sept académiciens appartenaient à la « religion prétendue réformée ; » il donna l’ordre à M. Le Brun de les déposséder et voulut que l’Académie élût à leur place des catholiques. M. Le Brun, qui estimait et chérissait M. Bernard « pour la candeur et l’honnêteté de ses mœurs, » dut obéir à l’ordre du Roi. M. Bernard cessa d’être académicien. Puis, en 1685, l’année même que fut révoqué l’édit de Nantes, M. Bernard, âgé d’environ soixante et dix ans, réfléchit et, le 20 octobre, fit abjuration, en présence de Gilbert de Sève et d’Antoine Benoist, peintres ordinaires du Roi, dans l’église Saint-Sulpice ; et, la semaine suivante, il retourne à l’Académie : on l’y accueille « avec beaucoup de joie et d’estime, » il y reprend « même séance qu’il avait devant. » Le financier son fils, ou le futur financier, ne s’obstina guère plus longtemps, deux mois à peine. Au surplus, M. d’Artagnan, major du régiment des gardes, l’avait prié de lui faire tenir ses papiers d’abjuration « pour lui ôter le chagrin d’être obligé de lui en faire, » M. d’Artagnan qui était « au désespoir d’être commis pour pareille chose, surtout quand il faut que cela tombe sur une personne comme vous. » Une politesse en appelle une autre : le