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allemande, « si supérieure par sa profonde moralité au régime parlementaire français. » « Qu’ils nous administrent tant qu’ils veulent, répond tout doucement l’Alsacien, mais qu’ils ne nous rudoient pas. » cette repartie laconique trouve son commentaire le plus expressif dans une petite histoire, racontée sans nul embarras par un soldat qui s’en croit le héros. Assistant en Alsace au passage d’un train de prisonniers français, il voit une toute jeune fille offrira l’un d’eux une friandise. Il la lui arrache des mains, punit son inconvenance par un soufflet retentissant et y ajoute une mercuriale publique et bien sentie, renouvelée ensuite à la mère de l’enfant. Loin de rougir de ce mouvement de brutalité, il s’enorgueillit d’avoir inauguré une nouvelle méthode de ce qu’il appelle « l’éducation populaire en pays-frontière » (Grenz-Volkserziehung)[1]. Sans qu’il s’en doutât peut-être, son geste symbolisait l’esprit et expliquait l’échec de toute une politique.

Ajouté à tant d’autres, ce trait peut servir à compléter la physionomie morale des paladins de l’Allemagne moderne et permet en même temps de préciser par un dernier exemple le genre d’intérêt que présente pour nous le dépouillement de leurs souvenirs et de leurs lettres du front. Si la lecture en semble en maintes rencontres pénible, elle ne cesse pas d’être instructive et elle devient même parfois, lorsqu’on la poursuit jusqu’au bout et jusqu’au fond, plus réconfortante qu’on ne se le serait imaginé. L’on ne tarde pas à y discerner certaines vérités qu’aucune censure au monde n’est assez forte ni assez habile pour étouffer. L’on y découvre sans peine, sous les prétentions qui y apparaissent d’abord, des aveux ou même des réticences par lesquelles se trahissent les véritables sentimens des combattans allemands, les crimes qui ont souillé leurs armes, les faiblesses morales qui condamnent leurs premiers succès a rester sans lendemain. C’est en ce sens que leurs témoignages, destinés à devenir précieux pour les historiens futurs, ne le sont pas moins pour les témoins de la guerre actuelle ; si les uns doivent y trouver un jour des raisons de comprendre, les autres peuvent en retirer dès maintenant des motifs d’espérer.


ALBERT PINGAUD.,

  1. Bartsch, p. 266 ; Thümmler, VI, p. 9.