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Elle a d’abord été accusée et elle a voulu se défendre de tout piller sur son passage. « Par principe, déclare gravement Hoecke, l’armée allemande ignore le pillage. » Comment expliquer alors l’état de désolation des localités où elle a passé ? Un soldat déclare qu’elles « ressemblent à un désert, » un autre qu’elles « présentent le même aspect que si une bande de brigands y avait séjourné. » Un troisième, plus sensible que ses camarades, avoue que ce spectacle lui donne envie de pleurer[1]. Tous, d’ailleurs, excusent ces dévastations par les nécessités de la guerre ; et comme l’hypocrisie germanique ne perd jamais ses droits, quelques-uns en rejettent la responsabilité sur les paysans français eux-mêmes, qui auraient profité du départ des propriétaires aisés pour vider leurs maisons : le caractère odieux de cette insinuation, reproduite pourtant par un général, n’en fait que mieux ressortir la puérile invraisemblance[2].

Dans les habitations mises à sac, tout n’a pu être anéanti par rage de destruction. Bien des objets de prix n’ont-ils pas été emportés par des soldats ou même des gradés peu scrupuleux ? Pour protester contre cette injurieuse hypothèse, nous n’avons que cette affirmation tranchante de Sven Hedin : « Où un officier allemand a logé, il ne manque pas une tête d’épingle[3]. » Avant de l’accepter, il faudrait prier l’auteur de se mettre d’accord avec Ganghofer, qui, pour rassurer l’Allemagne sur le sort de ses guerriers en campagne, fait une description enthousiaste du confortable trouvé dans le gourbi d’un capitaine d’artillerie. Petite table, fauteuils rococo, sofa de boudoir, rien n’y manque. Et comme le détenteur de ces objets de luxe ne les a pas apportés dans sa cantine, force est de croire qu’il a dû faire d’autres emprunts qu’une « tête d’épingle » aux logis où il a passé. Ailleurs, un officier de réserve détaille, dans une lettre à ses enfans, les tentures de soie, les tapis persans, les pendules de prix et même les photographies de famille qui font l’ornement de son installation dans la tranchée ; il avoue avoir pris le tout dans un château voisin, mais en laissant sur la table un reçu pour le propriétaire absent : manière de libérer sa conscience qui a de quoi faire sourire tout autre lecteur qu’un

  1. Hoecke, p. 117 ; Wiese, p. 154 ; Thümmler, IX, p. 27, XIV, p. 3, et XIX, p. 5.
  2. Von Moser, p. 87 ; Gottberg, pp. 23 et 99 ; Hoecke, p, 40 ; Kutscher, p. 192.
  3. Sven Hedin, pp. 237 et 499-500.