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Officiers[1] ! La faveur que rencontrent ces légendes révèle chez ceux qui les acceptent une confiance bien limitée dans l’avenir, car une nation qui se sent si sûre de la réalité n’éprouve pas le besoin de se repaitre de pareilles chimères. A passer en revue ces symptômes multipliés d’un même malaise moral, l’on voit peu à peu le peuple allemand descendre de ce piédestal d’héroïsme où il lui plaisait de se hausser et l’on ne peut s’empêcher de trouver une part de vérité dans cette boutade d’un grincheux qu’on félicitait de vivre dans une « grande époque. » « Grande époque ! Je ne vois autour de moi que petitesse, soif du gain et labeur de l’effort[2] ! »

Plus encore que ceux de la population civile, les mérites de l’armée allemande ont été exaltés à l’envi par ceux qui ont pris part à ses luttes. Ils la représentent comme sans rivale par son organisation matérielle et son excellent esprit. Les éloges dithyrambiques qui lui ont été adressés ne comportent-ils pas quelques réserves ? On aurait sans doute mauvaise grâce à ne pas lui reconnaître cette perfection de préparation technique qui constitue sa supériorité la plus incontestée. Il est pourtant permis de faire remarquer que, de l’aveu même des intéressés, le fonctionnement de divers services (notamment la poste de campagne et le ravitaillement) a laissé beaucoup à désirer ; que certains corps se sont vus parfois menacés de famine, n’étant pas suivis par leurs cuisines roulantes ; que d’autres, n’en ayant pas reçu, ont dû en improviser avec des chaudrons pris aux paysans ; qu’enfin les artilleurs, si fiers de leur réputation, ont parfois écrasé de leurs feux leur propre infanterie. Il vaut mieux mettre ces insuffisances matérielles sur le compte des embarras inséparables d’une rapide entrée en campagne et s’attacher à rechercher si l’état moral de l’armée s’est toujours, comme on voudrait nous le faire croire, maintenu égal à lui-même, à une hauteur où il défiait toutes les surprises. Ce qui frappe au contraire quand on en suit l’évolution, c’est une instabilité continuelle, marquée par de fréquentes alternatives d’exaltation et de découragement, et très éloignée de cet imperturbable optimisme qui aurait fait la force principale des troupes allemandes[3] .

Tout au début, la nouvelle de la guerre inspire à leurs divers

  1. Kutscher, pp. 6, 15, 16, 17, 42, 81, 111 ; Thümmler, V, p. 26 et VI, p. 8.
  2. Reinhardt, p. 95.
  3. Gottberg, pp, 24, 48, 59 ; Hoecke, p.43 ; Marschner, pp. 23, 63 ; Rutscher, p. 74.