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exemples pour montrer comment ils ont été amenés malgré eux à rendre hommage à des adversaires qu’ils affectaient au début de tenir pour négligeables. L’expérience de la guerre leur a-t-elle fait également apporter quelques retouches au portrait flatté qu’ils nous traçaient de leur propre armée ?


II

Ils nous donnent d’abord, sur les mobiles qui ont entraîné leur pays à la guerre, une version un peu différente de la thèse officielle, dont plusieurs d’entre eux s’étaient faits les interprètes. Une lettre d’étudiant, datée du début des hostilités, contient cette phrase suggestive : « Aujourd’hui comme auparavant, cette effusion de sang m’apparait comme une terrible énigme[1]. » Est-ce là le langage d’un homme assuré de défendre contre une injuste agression « ses biens les plus sacrés ? » D’autres parlent un langage plus clair : « Nous nous battons, écrit Kutscher, pour la domination universelle de la culture allemande, de l’esprit allemand, dont l’heure a sonné de nouveau : » pensée qu’un officier traduit sous une forme plus familière en reproduisant le vieux proverbe : « C’est au germanisme qu’il appartient d’assainir le monde (An deutschen Wesen soll die Welt genesen). » Encore ne s’agit-il ici que de conquêtes morales. D’autres déclarations trahissent des convoitises toutes matérielles. Quand un jeune marin salue la nouvelle de la guerre par cette exclamation : « Vive Guillaume II, Empereur de l’Europe ; » quand un soldat se déclare heureux et fier de prendre les armes « pour la plus grande Allemagne ; » quand un de ses camarades, cantonné près de Verdun, parle avec orgueil de cette terre qui a été allemande jusqu’à la Meuse et qui doit le redevenir ; quand un étudiant résume la portée de la guerre par ce cri : « En avant pour être puissance mondiale ! » il semble que ces divers témoignages nous entraînent bien loin de la légende d’une Allemagne pacifique, contrainte à la lutte par le souci de sa défense[2].

Après l’innocence de leur pays dans les responsabilités de la conflagration européenne, ce que les auteurs de mémoires

  1. Witkop, p. 64.
  2. Kutscher, VIII, p. 21 ; Wiese, pp. 163, 251 ; Thümmler, II, p. 28 ; Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, IV, p. 224 ; Witkop, p. 104.