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d’un automobile militaire allemand, endossent l’uniforme des chauffeurs et parcourent sous ce costume les lignes ennemies, d’où ils rapportent de précieux renseignemens. Plus loin, Gottberg rapporte, pour justifier la même remarque, un épisode peu connu de la bataille de l’Yser. Comme ses hommes venaient de passer ce fleuve et couvraient d’une nappe de feu la plaine qui les séparait du chemin de fer, ils virent avec stupéfaction un capitaine français s’avancer en automobile jusqu’à 400 mètres de leurs lignes, s’arrêter brusquement, et monter sur un arbre pour essayer de reconnaître leurs positions. Un coup de feu dirigé avec une précision inattendue vient l’abattre, ainsi que son compagnon, sur la chaussée où l’on retrouve le lendemain leurs cadavres. « Quelle belle et pure fin de héros pour deux braves ! » s’écrie Gottberg[1]. D’autres officiers se signalent par des traits de désespoir patriotique dignes de l’antiquité : tel, ce commandant du fort des Ayvelles qui se fait sauter la cervelle pour ne pas survivre à l’extrémité d’une capitulation devenue inévitable, depuis que les 420 ont écrasé les abris où s’était réfugiée sa garnison[2] !

Dans l’armée française elle-même, certaines armes ou certains corps ont laissé à ses adversaires des souvenirs particulièrement cuisans. C’est d’abord le cas de son artillerie, dont les effets, d’après Sven Hedin auraient été « simplement effroyables » sans la qualité défectueuse de ses munitions[3]. Elle a dû rapidement remédier à cette infériorité — même sans le secours des Américains[4]— car, dès le mois d’octobre, un aviateur hessois laisse échapper cet aveu dépouillé d’artifice : « Les Français ont vraisemblablement fait leur apprentissage, car leur artillerie de campagne est en général excellente et franchement supérieure à la nôtre[5]. » Et dans toutes les lettres du front l’on retrouve, avec exemples à l’appui, les mêmes exclamations sur la « précision fabuleuse » ou l’ « efficacité colossale » de ces canons si meurtriers, si prompts à se déplacer, si habiles à se dissimuler[6]. Leur supériorité de tir semble aux

  1. Gottberg, pp. 49 et 123.
  2. Ganghofer, p. 94 ; Thümmler, VIII, p. 8.
  3. Sven Hedin, p. 244.
  4. Kutscher, p. 238.
  5. Wiese, p. 168.
  6. Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, IV, pp. 22, 43, 186, 202 ; Thümmler, VIII, p. 8 et XIX, p. 20 ; von Moser, pp. 36 et 38.