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de troupe, grisés par la facilité apparente de leurs premiers succès, ont pu mettre en doute la force de résistance de leurs ennemis, ces illusions ne paraissent pas avoir été jamais partagées par le haut commandement. Sven Hedin, qui visite les Etats-majors au milieu de septembre, c’est-à-dire au lendemain de la Marne, y recueille partout les appréciations les plus élogieuses sur l’armée française et sur ses chefs. Au grand quartier général, il entend d’abord parler avec une particulière estime de ces hommes « qui vont à la mort sans sourciller et qui, sous le feu des mitrailleuses, tombent sans reculer d’un pas. » Un général de la Garde salue en eux, — suprême éloge dans sa bouche ! — « les dignes adversaires des premiers soldats du monde. » Quant à leur généralissime, « il n’y a sur lui qu’une voix dans toute l’armée allemande : c’est un grand, un génial chef d’armée. » En arrière du front enfin, les prisonniers et les blessés produisent l’impression la plus favorable sur ceux qui les gardent ou qui les soignent : les premiers par leur bonne tenue militaire, leur déférence sans obséquiosité envers les gradés, leur intelligence dans les interrogatoires qu’ils doivent subir ; les seconds par leur patience devant la douleur et leur charité envers leurs camarades plus dangereusement atteints[1].

Si flatteuses qu’elles paraissent, ces appréciations pourraient sembler suspectes en raison de leur source, si elles n’étaient confirmées par de nombreuses lettres où des soldats allemands expriment leur stupéfaction de découvrir chez leurs adversaires ces vertus de ténacité dont ils les croyaient dépourvus. Ce sont les durs combats livrés dès l’automne de 1914 autour de Verdun, dont la chute était escomptée dès cette époque, qui leur apportent cette révélation : « En aucun cas, écrit l’un d’eux, rendu modeste par les épreuves, on ne doit déprécier ses ennemis ; à plus forte raison s’il s’agit des Français. Ceux-ci combattent, autant du moins que j’ai eu affaire à eux, jusqu’à la dernière goutte de leur sang[2]. » Ce qui les rend particulièrement difficiles à forcer, c’est, non moins que leur bravoure, une habileté dans la fortification de campagne qui devient pour leurs adversaires un sujet non dissimulé d’émerveillement. Ils ont acquis une véritable « maîtrise » dans l’art de dissimuler

  1. Sven Hedin, pp. 31, 44, 64, 94, 109, 122, 258, 414, 449.
  2. Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, IV, p. 212.