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point tirée du livre écrit pour les raffinés : elle se lit dans La douce France, celui que l’écrivain a composé pour les simples, afin de leur apprendre toutes les raisons que nous avons d’aimer ensemble notre beau pays. Il a tenu à mettre au nombre des figures chères, proposées à la vénération de notre peuple, celle du maître rustique dont il a pénétré l’âme profonde. Ayant vécu parmi les paysans et les ayant observés à peu près dans toute la France, il sait dire ce que Millet a dégagé de général et d’humain d’une observation toute semblable. Il note, par exemple, pour lui en faire un mérite, cette absence d’expression personnelle des personnages du drame rural, qu’on lui a quelquefois reprochée. Le peintre des Glaneuses, dit-il, a représenté « la campagne qui laboure, la campagne qui récolte en hâte, la campagne qui fait les semailles, où l’homme n’est, par le labeur, que l’héritier d’une fonction antique, où il a moins de place que la graine précieuse, la graine souveraine, attendue par la terre ouverte, par le ciel mouillé, par la herse attelée au bout du champ. Peindre des hommes et ne pas faire de portraits, les mettre, comme ils sont, dans la vie rurale, quel problème difficile ! Millet y a réussi. C’est la statue entière qui parle dans les dessins et les tableaux de Millet. Et l’on peut dire qu’il a été une sorte de sculpteur en couleur des hommes de la terre. »

Avec Théodore Rousseau, M. René Bazin a d’autres liens, non moins puissans. Le grand forestier de Barbizon a dit de sa jeunesse : « J’entendais les voix des arbres. » Ces voix, le romancier n’a jamais cessé de les entendre, et leur chant murmure dans son œuvre entière. On y trouve à foison des pages comme celle-ci, prise au hasard dans le récit intitulé Les trois automnes : « Il y a un arbre si commun dans nos forêts et dans nos champs qu’on ne peut guère voir ou imaginer un paysage de France où il n’ait sa place ; un arbre puissant, indulgent à la lumière qui court à travers son feuillage, en sorte que l’ombre en est douce et mêlée ; un arbre aux formes arrondies comme des houles, et qui, multiplié, couvrant le creux des plaines et leurs pentes, rappelle encore la mer pour la couleur, le mouvement et la voix ; un arbre vêtu d’une écorce dure et plissée, résistant à la chaleur comme à la gelée, très droit, très noble, très fécond, et capable, on le dirait, comme le sol qui le porte, de printemps indéfinis. On cite des chênes de plus de mille ans. » Le morceau semble vraiment une transposition de