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choses tout à fait dans le même ordre. Si ce sont des feuilles, que de vie en un jour, et que de mort, et que d’attitudes changées ! Si c’est une plaine de sable, elle a remué. Si c’est la mer, où sont les vagues de la veille ? Et, puisqu’il y a du ciel au-dessus de tous les horizons, qui peut parler d’immobilité dans ce champ de course prodigieux où se précipitent et se mêlent tous les maîtres de la vitesse et du vol, le rayon, le vent, le nuage, la poussière, et tant d’autres puissances inconnues, qui renouvellent le sang et la sève et, plus haut que nous, la couleur de l’espace ? » Songez maintenant aux Cathédrales, aux Meules, aux Nénuphars de Claude Monet, peints d’un même point de vue à toutes les heures de la journée, et révélant chacun « une minute qui ne ressemblera complètement à aucune autre ; » et dites si cette page de M. René Bazin n’autorise pas à le ranger parmi les théoriciens de « l’impressionnisme. » On n’a jamais mieux justifié les recherches de l’école, de celle, bien entendu, qui fut sincère et qui compte. Ce n’est pas que notre auteur s’embarrasse de querelles de doctrines ; on le voit bien aux œuvres qu’il a goûtées et qui témoignent du plus large éclectisme. Il aime naturellement les peintres « bretonnans, » MM. Simon, Cottet, Dauchez, « poètes qui ne se tairont pas tant que la lande fleurira, tant que la mer sera triste sur les grèves et dans les yeux des femmes ; » il donne son cœur à la noble mélancolie de M. Le Sidaner, à la sincérité grave de M. Henry Grosjean ; il réjouit sa vision aux gravures en couleur de M. Henri Jourdain, comme aux cartons de tapisserie de M. Jean Veber. Le seul trait commun de peintres si divers, c’est qu’ils observent les choses comme le romancier lui-même, avec un regard tout neuf. Il leur sait gré de bien remplir leur fonction d’artistes, c’est-à-dire de révéler au monde « des joies qui étaient là, toutes proches, et qu’il n’a pas su voir. »

Parmi les anciens, M. René Bazin parle avec tendresse de Rousseau et de Millet, et si vous ne devinez pourquoi, c’est que vous ignorez tout des parentés de son esprit. Il aime dans Millet le grand peintre de la France rurale, qui n’est pas seulement le plus célèbre, mais aussi le plus émouvant : « Il ne renia jamais ses origines paysannes, sa Normandie, son enfance nourrie de l’Evangile et de la Bible, et la grandeur de son œuvre est due, pour une part, à cette fidélité. » La phrase n’est