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vérité. Lorsque M. René Bazin nous parle de Rembrandt et d’Ingres, il est permis de croire qu’il est un peu l’écho de Ferdinand Gaillard. Il lui a dû, en tout cas, ces élémens de compétence technique, qui manquent à tant d’écrivains d’art, d’ailleurs sensibles et appliqués, et valent si fréquemment à leur « copie » toute littéraire le sarcasme irrité des artistes.

Sans cette rencontre, au seuil de sa jeunesse, peut-être que M. René Bazin eût moins bien parlé des « couleurs » des peintres, il ne les eût pas moins aimées. Elles s’accordent à cette part de joie réaliste qu’il accepte dans son œuvre, car, pour cet analyste des âmes, le monde physique aussi existe et il le saisit fortement par les yeux. Chacun sait quel usage il fait, non pas du vocabulaire pictural, dont il se garde d’ordinaire, mais des notations équivalentes que lui fournit son art d’écrivain. Il n’écrit pas une scène dont il n’établisse d’abord le décor précis. Qu’il le fasse en quelques mots, suffisans à l’effet, ou qu’il se complaise à la description lentement filée, rehaussée çà et là de la touche de sensibilité qui lui est propre, le romancier met toujours sous nos regards, avec une irréprochable netteté, le cadre où vont évoluer ses personnages. Et comme ceux-ci sont étudiés soigneusement, dans les traits de leur visage, dans leurs gestes, dans leur vêtement ! Comme l’extérieur des êtres est relevé avec minutie ! Comme les bûcherons du Blé qui lève sont différenciés des carriers de Davidée Birot ! et n’y a-t-il pas dans Gingolph toute une galerie de portraits de marins, d’une âpre réalité, aussi savamment traitée que la galerie des paysages ? M. Charles Cottet, M. Lucien Simon reconnaîtraient ce rival, « dont l’esprit a pénétré, dont la main a su reproduire, avec tant de justesse, les signes de la profession dans le visage des hommes. »

Il est avant tout un peintre de la lumière, de celle qui change à toutes les heures l’aspect de la terre et des mers, glisse au matin sur les brumes des fleuves et anime le cheminement des nuages, dont « l’heure souveraine est le soir. » De tous les mots colorés qui chargent sa palette, le mot lumière est celui qu’on y compterait le plus fréquemment ; et voici un morceau achevé où l’observation la plus juste s’accompagne d’un véritable lyrisme : « La lumière est une voyageuse. Elle ne s’arrête pas. Quand elle revient au même point de l’espace, ou à peu près, vingt-quatre heures plus tard, elle ne retrouve jamais les