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sa fin prochaine, il venait, comme dernière consolation, de poser sa candidature à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, intéressant de loin amis et protecteurs à l’élection désirée. C’est à ce sujet que Chateaubriand lui écrit.


Cauterets, le 28 juillet 1829.

« Je me suis presque rapproché de vous, monsieur, et ma santé m’a appelé aux eaux des Pyrénées. Mon premier projet avait été de rentrer en Italie par la Corniche et je me faisais un grand honneur de vous rencontrer sur mon chemin ; c’est même ce qui m’a empêché d’avoir l’honneur de répondre plus tôt à votre dernière lettre, espérant toujours vous porter moi-même ma réponse. Malheureusement je suis obligé de retourner à Paris et de prendre ensuite la route de Turin.

« Vous savez, Monsieur, si je suis à vos ordres et combien je serais heureux de vous servir : j’ai fait les démarches nécessaires ; vous n’en aviez pas besoin. M. Villemain a pu vous apprendre que tous les vœux et presque toutes les promesses sont pour vous : la supériorité de vos droits n’est pas plus contestée que celle de vos talens.

« Je me prépare toujours à donner cet hiver les deux volumes de mon histoire[1], et, voulant rendre compte de tout ce qu’on a écrit, je lis ici M. Guizot, la plume à la main. Au milieu d’une foule d’excellentes choses, il y a bien des choses hasardées et qui sentent le système. Comment soutenir, par exemple, que les champs cultivés chez les Romains étaient sans chemins, sans habitans, sans villages, sans chaumières ? C’est nier à la fois le Code, les Pandectes, les Novelles, l’histoire, la poésie ; c’est avoir oublié jusqu’à l’étymologie du mot païen. Il n’y a que vous, Monsieur, qui soyez juste, parce que vous avez soumis votre raison aux faits.

« Dans quinze jours, Monsieur, j’aurai quitté les eaux et dans un mois je serai à Rome. Ai-je perdu tout espoir de vous y voir ? Ne pourrai-je, en échange de vos lumières, vous prêter mes deux mauvais yeux, pour vous conduire sur les ruines

  1. Les Études historiques.