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humilié que si la Russie avait prononcé elle-même la sentence.

Presque en même temps, on apprenait que l’armée turque de Tchataldja s’était mise en mouvement et marchait sur Andrinople qu’elle voulait reprendre, et qu’assurément elle reprendrait presque sans coup férir, car la garnison de cette ville ne comptait même pas un régiment, et il ne restait en Thrace que quelques gendarmes et un fonctionnaire civil. Les informations qui parvenaient le 15 au gouvernement confirmaient ces nouvelles en les aggravant. Ce même jour, l’armée roumaine avait occupé Varna, et le ministre bulgare à Constantinople avait reçu ses passeports et quitté son poste. Jamais le royaume et le monarque ne s’étaient trouvés dans une situation plus critique. Dans le monde officiel et dans la presse, les plus vives alarmes se manifestaient ; on redoutait un mouvement révolutionnaire, des assassinats, des complots contre la dynastie. Dans ces circonstances si cruelles pour son incommensurable orgueil, mais dont il ne pouvait accuser que lui-même, le Roi envoyait à l’empereur de Russie un suprême appel. Il procédait à une démarche analogue auprès du gouvernement français. A la Russie il demandait d’arrêter les Roumains, et à la France d’arrêter les Turcs qui menaçaient, eux aussi, la frontière bulgare. Le 21, il s’adressait directement au roi de Roumanie et lui faisait parvenir un télégramme que sa longueur nous empêche de reproduire, mais qui prouve combien humble et suppliant a été le langage que faisait entendre le tsar des Bulgares aux gouvernemens dont il implorait le secours.

C’était un acte de contrition auquel manquait sans doute l’aveu de la faute, mais dont les termes nous permettent de mesurer l’effort qu’avait dû faire sur lui-même l’orgueilleux Ferdinand pour implorer sa grâce. Il avait espéré que le roi de Roumanie serait sensible à sa prière et se concerterait avec ses alliés pour mettre un terme aux hostilités. Mais la réponse qui lui parvint de Bucarest, quoique courtoise et même aimable, ne contenait ni précisions, ni promesses. En outre, l’armée roumaine continuait, quoique avec lenteur, sa poussée en avant, et on lui attribuait l’intention de couper la ligne du chemin de fer à l’Est de Sofia, comme elle avait déjà coupé celle du Nord. S’il en était ainsi, la capitale ne pourrait plus être ravitaillée ; elle serait réduite à la famine, et l’armée