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victorieux. Cet appel n’étant pas écouté, ce fut de sa part une faute de ne pas solliciter l’intervention amicale de la Russie pour obtenir ce qui lui était refusé ; mais cette faute n’affaiblit pas le droit moral au nom duquel elle réclamait une modification au traité de partage.

Cette réclamation appuyée par la Grèce irrite le souverain bulgare. Résolu à n’y pas céder, il dissimule à peine son ressentiment contre ses alliés, ressentiment d’autant plus dangereux dans ses conséquences que, convaincu de la supériorité de ses forces et tenant en médiocre estime celles de ses futurs adversaires, Ferdinand envisage sans appréhension un règlement de comptes qu’il croit inévitable. Il s’était engagé à laisser son armée à Tchataldja jusqu’à ce que la paix avec la Turquie fût signée. Dès qu’il eut appris que les signatures étaient échangées et sans attendre que le traité eût reçu un commencement d’exécution, il rappelait ses troupes sans se préoccuper d’assurer la garde de la Thrace, dont la possession lui était reconnue, et les dirigeait aussitôt vers la Macédoine qu’il voulait reconquérir sur les Serbes et sur les Grecs, abandonnant follement de riches territoires glorieusement conquis, pour aller en reprendre d’autres moins favorisés et qu’il prétendait lui avoir été iniquement enlevés. On peut fixer au printemps de 1913 le moment où il a pris son parti de cette guerre fratricide.

Quoiqu’il soit avéré qu’il a toujours eu l’habileté de ranger ses ministres à son opinion en leur suggérant ses propres idées et en leur laissant croire que c’est eux qui les lui inspiraient, il ne faut pas perdre de vue qu’il était tenu de compter avec eux ou, pour mieux dire, avec les partis d’opposition qui cherchaient à les renverser dans l’espoir de prendre leur place. C’est ainsi qu’il imprime à la marche de son gouvernement l’orientation qu’il juge la plus profitable à l’intérêt dynastique. Si, comme il lui est arrivé de le dire, ses ministres étaient considérés par lui comme des pantins dont il maniait les ficelles, il est également vrai qu’il a toujours su modifier sa politique, au gré des circonstances, par des changemens de Cabinet. La chute du ministère Guéchof qui se produisit au milieu du mois de juin et son remplacement par un ministère Danef ne sont qu’un épisode de cette politique souterraine que le roi Ferdinand n’a jamais cessé de pratiquer. Guéchof, qui croyait