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nous pour qu’il soit utile de les énumérer et de les décrire. Après des succès éclatans dont la rapidité presque foudroyante n’avait pas été prévue par les belligérans et encore moins par le souverain bulgare, son appétit connut d’autant moins de bornes que l’opinion publique européenne, et, en particulier, celle de la Triple-Entente se prodiguait à l’excès en complimens et en témoignages d’admiration.

C’est ici qu’on voit poindre les mobiles auxquels il avait obéi en jetant les Balkans dans la guerre. D’accord avec ses alliés, il n’avait cessé de déclarer que cette guerre était entreprise dans l’unique dessein de libérer les frères macédoniens et de constituer l’unité nationale. Mais voici qu’en quelques semaines elle se transformait en une guerre de conquêtes. Non seulement il considérait la question macédonienne comme réglée à son profit, malgré les difficultés qu’il prévoyait déjà dans l’avenir, avec la Serbie et la Grèce lors des règlemens de partage, mais encore il estimait que la Thrace qu’il avait conquise devait lui appartenir tout entière et qu’un-port sur la Marmara lui était indispensable. La fièvre conquérante qui s’était emparée de lui se communiquait à ses sujets grisés par leurs victoires ; ils prédisaient l’entrée triomphale de l’armée nationale à Constantinople, et certains d’entre eux, à l’exemple de leur roi, se voyaient déjà les successeurs des Turcs sur les rives de la Corne d’Or. C’en était assez pour éveiller les défiances des alliés de la Bulgarie. Ils avaient eu dans les victoires remportées une part au moins égale à celle des troupes bulgares et par conséquent les mêmes droits à l’honneur et aux profits.

C’est en ces circonstances que l’acquiescement donné par l’Europe à la demande de l’Autriche-Hongrie, en vue de la création d’une Albanie autonome, vint aggraver une situation déjà si grosse de difficultés et de périls. La Serbie, dont l’ambition avait été tournée jusque-là vers ses frontières occidentales, se voyait fermer le libre accès à l’Adriatique, en dépit de toutes les combinaisons imaginées par ses amis pour lui donner satisfaction. Un débouché sur la mer étant indispensable à son expansion économique, elle devait porter ses regards sur le Vardar et sur la mer Egée. Le malheur est que ses désirs ne pouvaient être exaucés qu’aux dépens de la Bulgarie ; mais comme, d’autre part, elle avait prêté à celle-ci son concours militaire pour la prise d’Andrinople, elle ne croyait pas être