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se développaient, sans augmentation exagérée des impôts et sans qu’on eût abusé des emprunts. Les services rendus par Stamboulof à son pays étaient donc incontestables et méritaient quelque reconnaissance. Mais il est douteux qu’il y eût compté. En tout cas, elle allait lui faire défaut. Le lendemain du jour où il a quitté le pouvoir, il ne serait plus rien, si l’on ne supposait que, rejeté dans l’opposition, il deviendra promptement redoutable. Quelques mois après sa chute, on le retrouve debout, ayant derrière lui un parti qui s’est constitué sous sa direction et menaçant les forces gouvernementales coalisées pour l’empêcher de ressaisir son ancienne influence. A la date du 8 janvier 1895, il est dit dans un rapport diplomatique :

« Dans ce pays, où le sens moral, la générosité, la loyauté ne sont encore qu’à l’état embryonnaire, les partis, même ceux qui se drapent dans les plus beaux sentimens, n’ont qu’une préoccupation dès qu’ils détiennent le pouvoir : supprimer leurs adversaires. Tel est l’état vis-à-vis de Stamboulof. Mais l’audace manque ; il fait encore peur. »

Il faisait peur en effet et, dans le camp de ses ennemis, c’est par des procédés perfides qu’on s’efforçait de le perdre. A la même date, une plainte était déposée contre lui. Sur la foi d’un prétendu témoin, on l’accusait d’avoir été le complice des assassins de son ami Beltchev. L’accusation était calomnieuse autant qu’invraisemblable ; mais elle fut prise au sérieux par un juge d’instruction militaire. Il délivra contre l’ancien ministre un mandat d’arrêt qui eût été exécuté, si le colonel commandant la place n’eût refusé d’obéir sans un ordre écrit du chef de l’armée. Les agens d’Angleterre et d’Autriche ayant été avertis coururent chez le ministre de la Guerre et, sur leurs observations, le mandat fut annulé. Cependant, qu’un tel incident eût pu se produire était un fait singulièrement significatif et symptomatique. Amis et ennemis de l’ex-dictateur furent convaincus qu’à moins de disparaître, il ne resterait pas longtemps en liberté. Mais, à six mois de là, il était assassiné, et l’histoire de la longue période durant laquelle Ferdinand de Cobourg allait gouverner seul s’assombrissait, dès ses débuts, d’une page de sang. Bien que ce drame effroyable ait été déjà raconté, tout s’oublie si vile qu’on trouvera bon que je rappelle ici les détails qui en soulignent l’horreur et répandent sur les mœurs bulgares une lumière sinistre.