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cessaient lus travaux de la campagne, que tout était enseveli sous la neige ou embourbé sous la pluie morne et sans fin, elle passait ses après-midi à tricoter des bas de laine, ou des moufles. La nuit venue, elle n’allumait pas de chandelle, par économie. Elle serrait son tricot dans sa corbeille à ouvrage, où s’arrondissaient deux gros œufs de buis pour les reprises, laissait tomber de dessous son aisselle « l’affiquet, » le petit manche de bois qui soutenait ses aiguilles à tricoter, et, pour ne pas rester à rien faire, — pour s’occuper, — elle récitait son chapelet, jusqu’à l’heure de son souper. Après quoi, elle se mettait au lit.

Ces soirées d’hiver sont parmi les meilleurs souvenirs de mon enfance. Je les partageais quelquefois avec la mère Charton, qui me tolérait à ses côtés, parce que je-n’étais point turbulent, ni saccageur. Encore une fois, je crois aussi qu’elle m’aimait, autant qu’elle pouvait aimer quelqu’un qui n’était point son fils. L’amour maternel étouffait à peu près, en elle, tout autre sentiment. Pour ce fils, qu’elle ne voyait presque jamais, pour cet unique héritier, elle se serait, comme on dit, mise sur la paille.

Pour moi, ce qui m’attirait chez elle, c’était, si je puis dire, la fascination de l’inconnu. J’avais beau savoir par cœur le logis de la vieille, je m’y aventurais toujours comme dans un pays nouveau et plein de mystère, où des surprises m’attendaient. Et puis, il suffisait que je fusse sorti de notre maison pour me trouver parfaitement bien chez les autres. J’ai toujours eu le goût des voyages. Chez la mère Charton, j’étais à l’étranger. Et pourtant, la chambre à coucher, où elle se tenait d’habitude, n’avait rien que de fort ordinaire pour mes yeux. C’était la simplicité quasi rudimentaire, la nudité proprette de tous nos intérieurs paysans : de grandes armoires de chêne, aux gonds et aux serrures en fer forgé, avec leurs rayons bourrés de linge, leurs tiroirs pleins de noisettes ; en face, le lit de noyer ciré, où s’étageaient deux ou trois « plumons ; » sous un cadre accroché à la muraille, une image d’Epinal, très haute en couleur, qui représentait sainte Catherine, patronne de la maîtresse, du logis ; au milieu, un poêle de fonte, rond comme un sac de pommes de terre et recouvert d’une calotte a poignées. Sous la calotte se creusait une sorte de bassin, excellent pour tenir la soupe au chaud ou pour y faire rissoler des