Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/564

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devant certaines réputations surfaites, certains courans d’opinion inexplicables, de me répéter, en bon Lorrain, avec la petite pointe de gouaillerie qu’y mettait la mère Charton :

— C’est moult d’aventure !…


Sobre, économe, merveilleusement ordonnée, cette vieille femme était naturellement une rude travailleuse, ou plutôt elle l’avait été. Car l’âge et l’embonpoint gênaient beaucoup son activité ménagère. Néanmoins, à soixante-quinze ans, elle ne mangeait pas, comme elle disait, du « pain de paresse. » Rentière, elle n’avait point de bonne. Non seulement elle faisait sa cuisine, son lit, sa chambre, mais elle vaquait encore au nettoiement et à l’entretien de toute une maison, y compris le jardin et les dépendances.

La « poulerie, » comme on l’a vu, représentait une part importante de ses soucis et de ses occupations. Elle en tirait d’ailleurs son souper de tous les jours, cet œuf « frais pondu, » qu’elle aimait à manger « gras cuit. » Aussi était-elle très attentive au caquetage plein de promesses de la poule qui va pondre :

— Ah ! la voilà qui « câquille ! » disait la mère Charton, avec un bon sourire sous sa moustache.

— Quand la poule cessait de « câquiller, » c’est qu’elle avait la pépie. Alors la bonne femme recourait immédiatement a son infaillible panacée, le saindoux, qui, pour elle, guérissait bêtes et gens :

— Je vas lui mettre, disait-elle, un peu de « sayain ! »

Et elle empiffrait de graisse le bec de la bestiole, qui râlait, et qui se sauvait de son giron, en battant des ailes.

D’autres fois, elle remarquait qu’une poule était mauvaise couveuse. Au lieu de rester sagement à la « poulerie, » à couver ses œufs, ainsi qu’elle le devait, cette « évaltonnée » courait la prétentaine avec les coqs du voisinage :

— C’est une coureuse ! prononçait la vieille d’un ton gros de menaces.

Tout de suite, je devinais ce qui allait arriver. Pour renvoyer à leurs œufs les mauvaises couveuses, elle connaissait, en effet, un remède souverain et vraiment admirable.

Sournoisement, elle guettait la dévergondée, et, tandis que